Le Voyant d’Etampes a beaucoup de qualités, la première étant de prendre parfaitement la température de notre époque.
Les presque 400 pages de ce roman nous plongent dans l’horreur de la tyrannie intellectuelle vers laquelle semble s’orienter toujours plus une société arrivée au bout de son histoire et dont la caractéristique la plus évidente est le déni du réel.
Abel Quentin, avocat et écrivain de 37 ans, raconte les mésaventures délirantes et parfois assez drôles d’un universitaire, Jean Roscoff, un peu aigri, ancien sympathisant de S.O.S racisme, ayant récemment pris sa retraite et qui en profite pour écrire un livre : Le Voyant d’Etampes - jolie mise en abyme - à la gloire d’un auteur américain injustement méconnu : Robert Willow, improbable communiste repenti écrivant des poèmes en français dans le style de Péguy.
Roscoff va subir une attaque en règle, dans un premier temps surtout par ceux qui ne connaissent pas le poète américain et n’ont pas lu son livre , attaque lancée sur internet par un blogueur fréquenté par les « artistes racis.é.e.s engag.é.e.s dans les luttes intersectionnelles » . Pourquoi ? Parce qu’il a mentionné comme une information secondaire le fait que cet américain était noir…
Négationnisme, suprématisme, fascisme, racisme, le pauvre écrivain apprend qu’il participe malgré lui aux pires -ismes du mâle possesseur du privilège blanc hétéronormatif et colonisateur. Il savait qu’il était vieillissant, alcoolique, lâche, surtout après son divorce ; il ignorait l’essentiel : qu’il participait au retour- de -la bête- immonde- avec- ses- idées- nauséeuses- dignes- des- pires- moments- de- notre- Histoire.
Rendue folle par la rapidité et la facilité d’internet, la chasse aux sorcières par les nouveaux croisés du Bien prend des allures de lynchage (horreur : le mot est réservé comme une sainte relique aux victimes du racisme anti noir, il ne doit pas être utilisé pour les victimes du racisme anti blanc !) Les pauvres victimes de toutes les oppressions se révélant tout à fait semblables à des agresseurs haineux.
Lâché peu à peu par toutes les bonnes âmes apeurées craignant d’être soupçonnées du pire, obligé de se cacher, poursuivi jusque dans son appartement, menacé des pires supplices, Roscoff essaie de comprendre ce qui est pourtant le signe du vide de la pensée, le signe du pouvoir tyrannique de l’émotion dans une société qui se voudrait hyper rationnelle. Un peu à la manière de Coleman Silk de La tache de Philipp Roth accusé de racisme et en réalité noir, Roscoff est cependant le seul à ne pas être raciste, c’est-à-dire le seul à appréhender l’autre en dehors de toute considération de race contrairement aux antiracistes professionnels comme cette figure de la militante haute en couleur Aminata Diao, clone hystérique de Harlem Désir à l’idée fixe pathologique mais qui paye : pour elle, tout blanc est un raciste qui s’ignore, comme tout hétérosexuel est un homophobe qui s’ignore, c’est bien connu.
L’extériorisation du racisme vu partout ou considéré comme systémique est en fait le signe qu’on essaie de le chasser hors de soi où il se terre honteusement, inacceptable, spectre immonde qui doit rester la propriété de l’ennemi, de l’oppresseur, bouc émissaire du mal qui nous habite, nous la victime, nous le défenseur du Bien, voilà ce qui se lit à travers ce roman si juste sur les dérives actuelles et dont je conseille la lecture. J’attends pour ma part avec impatience le prochain livre d’Abel Quentin ; la fin très réussie de celui-ci me laisse l’envisager comme étant très prometteur.
Le roman constitue par ailleurs un bel hommage à la liberté et à l'indépendance d'esprit de Camus, opposé souvent à Sartre auquel Abel Quentin attribue l'une des origines des dérives qu'il décrit. La couverture du roman représente la route sur laquelle Camus trouva la mort.