Je ne sais ce qui m’a le plus impressionnée dans ce roman : les personnages ou la description des lieux. Les uns comme les autres sont dépeints de façon très méticuleuses, avec beaucoup de rigueur et aussi une certaine poésie, tout en restant dans la noirceur car il existe bien peu de lumière dans ce roman.
Plus de 180 0000 habitants s’entassent dans la ville sibérienne de Norilsk, située au nord du cercle polaire arctique, réputée parmi les plus polluées du monde. Une ville soumise aux pluies acides et aux gaz toxiques libérés par l’immense complexe industriel, qui a des allures d’anti-chambre de l’enfer.
« POUR VIVRE ICI, IL FALLAIT Y ÊTRE NÉ. OU ÊTRE FOU. NORILSK ÉTAIT UNE VILLE VORTEX, UN POISON PSYCHIQUE QUI ASPIRAIT LE CERVEAU DES HOMMES ÉCHOUÉS LÀ, VOUS RAMENAIT LARVES DANS L’OEUF, EN FUSION AU COEUR D’UN NOYAU PERDU. UNE IMPRESSION LUNAIRE ANNULAIT LES RELIEFS ET LES PAROIS, ÉCRASAIT, PULVÉRISAIT LES SENS. BARRES D’IMMEUBLES COMME DES TROMPE-L’OEIL, COURS BATTUES PAR DES VENTS MÉCHANTS, LES ÂMES S’ENGOURDISSAIENT, EN PROIE À UNE HYPOTHERMIE COSMIQUE QUI RÉDUISAIT LES ÊTRES À DES CHOSES. DÉPRESSIONS, PERTES DE SENS, SUICIDES : LE MANQUE DE VITAMINES LIÉ AUX NUITS POLAIRES N’EXPLIQUAIT PAS TOUT. »
C’est dans ce contexte apocalyptique et non moins réel que se déroule l’intrigue : le corps d’un Nenets (une éthnie nomade de Sibérie), éleveur de rennes, est retrouvé dans les décombres d’un bâtiment situé en pleine ville qui s’est effondré suite à une tempête de neige. Le décès, bien antérieur à l’effondrement laisse supposer un homicide. Valentina, une jeune activiste qui tient un blog écologiste, a semble t-il disparue depuis plusieurs semaines. Coïncidence, on retrouve sur son blog un cliché du nénets décédé, pris lors d’un reportage photo réalisé par la jeune femme, associée à un jeune photographe, Gleb. Quel lien unissait le nénet décédé et la jeune femme disparue? L’inspecteur Boris se penche sur l’affaire.
Je découvre l’écriture de Caryl Férey, auteur français, que je classe parmi les romanciers référents tels que Marin Ledun ou Colin Niel. qui s’attachent à décrire une société par le biais d’une enquête de police : tout est méticuleusement détaillé au risque que quelques passages soient assimilés à une étude géographique et sociale, mais ce n’est pas un reproche car le récit est bien mené et intéressant. Personnage à part entière, la ville minière de Norilsk, ex goulag suffit à elle seule à glacer le sang. Les personnages déployés, ceux faits de chair et d’os, sont attachants, à commencer par le policier Boris et son épouse Anya qui forment un couple atypique. Gleb le jeune homosexuel forcé de dissimuler sa liaison avec Nikita, a les idées bien arrêtées face à Dasha, la jeune couturière, fan de Bowie qui est un personnage tout aussi marquant. L’ambiance est équivoque, l’action se fait assez rare et lorsqu’elle surgit, c’est souvent de façon brutale et inattendue.
Ce roman m’a rappelé l’excellent thriller de Morgan Audic qui se déroule dans la ville fantôme de Tchernobyl, De bonnes raisons de mourir.