Lennon
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Lennon

livre de David Foenkinos (2010)

Figure imputrescible, reconnaissable & presque plus forte que son empreinte musicale, le personnage de John Lennon a supplanté l’individu. Rançon du succès, aller simple vers la géhenne, tout a été presque dit pour dépeindre John Oko Lennon. La caractéristique de l’ouvrage de David Foenkinos tient dans la tournure, la manière de narrer John Lennon. Exit le dictionnaire, le savoir-encyclopédique quasi-incoercible, le recueil d’anecdotes. Ici, John Lennon vient se confier, se recueillir auprès de l’auteur. Parallèle biblique oblige, il transpire de ces pages ce sentiment que l’artiste dépose son fardeau auprès de l’auteur, qu’il se déshabille pour mieux (s’)ausculter.


Flegme british, prétention, détermination, constance…soit tant de superlatifs pour décrire la trajectoire de John Lennon. Dans un contre-pied dont il était coutumier, John Lennon n’enjolive en rien ici son "savoir", ne s’attarde pas sur le terrain de la fausse modestie. Oui il y a une part d’immanence dans ce talent et une symbiose trouvée avec Paul McCartney. Beaucoup d’heures de travail (et de défonce) aussi à synchroniser un son précurseur. Il y a aussi pas mal d’inconscience à fréquenter le Hambourg d’alors, voire de cruauté à évincer Peter Best si près du succès. Autre contre-pied mis en exergue par l’auteur, l’alpha de ce talent en l’occurrence. L’ennui, ce vide comblé par un imaginaire créatif dans un premier temps puis peu à peu déformé par des additifs récréatifs. Le désœuvrement consécutif à la Seconde Guerre Mondial, cette architecture familiale brinquebalante sont autant de munitions pour John Lennon. A ce titre, la littérature puis la musique agiront comme des compagnons de route fidèles.


Mais ce caractère marginal nourrit une soif quasi-rogue de réussir. Sans pour autant délaisser ces premiers compagnons, l’ouvrage retrace comment John Lennon aura "fabriqué" son groupe, ses compagnons de fortune. Cette hydre à quatre têtes est pourtant un binôme : John Lennon en sera donc l’instigateur mais aussi le chef de file voire le dictateur et ironie de l’histoire le dissident. Par-delà les revendications de leadership, l’ouvrage met en exergue la hiérarchie silencieuse, subie puis renversée au sein des Beatles. Dans une sorte de résipiscence, John Lennon reconnaît ici ses (rares) limites, ses maux comme pour justifier le poids pris par Paul McCartney dans la 2ème partie de l’histoire du groupe.


Par-delà la réussite, la frénésie ambiante et constante, John Lennon ne s’appartient plus. Miroir grossissant, déformant, la reconnaissance unanime disjoint l’être et la manière dont il est perçu. Le doute est exclu, la revanche sur un sinistre passé n’est jamais bien loin et la peur de reproduire des schémas familiaux une chimère. Pourtant, le livre évoque ces démons enfouis et qui rejaillissent, ce déni et cette fuite en avant. La célébrité a agi ici comme un affublement qui tournera à la mascarade. Aussi, la figure de Yoko Ono agira comme la matérialisation humaine d’une recherche perpétuelle et autodestructrice, celle du "vrai" John Lennon. Dotée de tout ce qu’il ne fallait pas à l’époque aux Etats-Unis (artiste femme, japonaise, érudition certaine), Yoko Ono participera à l’ultime métamorphose de John Lennon. Ou peut-être est-ce le contraire. In fine, on ne peut que partager le constat liminaire de l’artiste. Epié et écouté de tous, le repli consécutif à cet étouffement n’aidera pourtant que partiellement John Lennon dans sa quête de réponse sur ce qui le définit, ce qu’il est. C'est ce que certains analyseront comme une quête existentialiste ou un caprice égocentrique. Pourtant, comme pour déjouer les pronostics, le mois de décembre 1980 ainsi que les mois qui suivent devait marquer le retour du Scouser.


Au final, la plume de David Foenkinos n'est pas étrangère à l'intérêt du livre. Elle participe à mettre une touche aigre-douce à ce récit. Le ton de la confession y est pour beaucoup : ici les propos ne sont pas rapportés, ni extraits. Loin de la psychologie de comptoir, ces séances ont pour but de faire accoucher ce John Lennon tant recherché par l’artiste. Ce long monologue a des vertus libératrices, salvatrices et d’ultimes confessions. Soit ce liverpuldien orphelin, cabossé, pétri de manques mais assoiffé d’arpenter les marches du succès. Ces dernières, compilées avec toutes les meurtrissures béantes de sa vie, John Lennon les chérira. In his life, he loved them all.

RaZom
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le 9 janv. 2017

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