Jamais on n'oserait pas clamer : « Je ne suis pas une personne de génie ». Alors comment a-t-on osé se donner le blanc-seing de dire « je ne suis pas un saint » ? Pourtant, les deux choses doivent être odieuses, étant donné qu'elles s'inscrivent dans l'absolu. Derrière mon impudence je remarque néanmoins que le soupçon de sainteté a quelque chose de plus compliqué à supporter. J'entends que le Marquis de Sade nous encage à la perversion de l'individu et à ce soupçon de sainteté, j'entends aussi les emberlificotations dont il fut victime. Sadien et sadienne ou anti-sadien et anti-sadienne, je vous entends, mais ça ne prend pas. Le Marquis ne me prend pas.
J'ose incommoder les partisans de la littérature de l'abject ; tout grand homme littéraire s'entretient de l'illusion que Sade choque, sauf que j'écris pour les petits, et Sade ne choque pas. Ce n'est pas tant de tristesse que d'étonnement qu'une lecture anachronique des 120 journées de Sodome paraît être ni plus et ni moins qu'une classification de pratiques erotico-bourgeoises. Somme toute, une nomenclature sexuelle des soirées bourgeoises que, derrière leur froissement ostensible, ces vinasseux pratiquent comme un clerc au bréviaire.
Dans cette époque si étrangement sadomasochiste, il y a bien une chose qui rappelle une violente passion, la haine de la douleur. Devenu qu'une ingrate contrainte au bonheur, elle se consigne à devenir le mal dans l'iconographie commune. Si je peux soutenir qu'une seule chose dont je suis certain de son inflexibilité, c'est cette loi de la souffrance que chacun porte en soi qui, supplée à la conscience même de tout son être, implique une nécessité d'existence que toute la logique humaine affluant au service de sa pensée la plus transcendante qu'elle soit ne saurait en fournir l'idée.
En réalité, si les souillons se scandalisent en lisant Sade, c'est parce que ses textes nous renvoient à notre propre médiocrité. Nul doute, la foule propose son contingent nécessaire de solitude. Inutile de s'en cacher. Le sexe, si on peut user ce terme tant sa dimension métaphysique a été galvaudé pour évoquer une tentative désespérée de trouver, ne serait-ce, le remous d'une chaleur humaine, n'est qu'une sorte de volonté palingénésique moderne. Sauf que sans le savoir, on s'empresse à mourir sans triomphe et notre prochain devient une entropie de sucs échauffants
En définitive, il est compréhensible que Sade pût être disruptif à son époque, je n'en doute pas. Cependant, dans la nôtre, où les vélins manuscrits allemands ont stipulé que l'intelligible se meurt, ses textes demeurent de n'être qu'un assemblage hétéroclite de ce que nous subissons et voyons chaque jour. Nous sommes les putains d'un espace sadien. Il nous reste soit à attendre sagement ou, soit à faire de l'âme humaine un spiritualisme, se surélever du côté du ciel, ne penser qu'à s'envoler, faire correspondre aux formes sensibles une représentation symbolique de réalités surnaturelles dont toute chose ordinaire en est que l'énigmatique miroir.
On me dira que je suis bête et méchant, que la forme y est contrairement au fond... Mais écoutez-moi... écoutez-moi... je crus longtemps expédient mon enthousiasme quand le sublime me fut dressé par la vie... mais peu à peu je m'estompe, peu me chaut dorénavant. Que Sade m'anime peu est dénominateur d'une chose tragique : je bois la société comme un réalgar, excusez mon impudence ! Mais que les scènes de torture, de prédation violente, de sodomie d'enfant et privation de consentement lambinent en mon âme de manière aussi expéditive qu'un coup de couteau dans le cœur manifeste un désarçonnement sensible. Quelle est vraie cette phrase d'Huysmans « Du Mysticisme exalté au Satanisme exaspéré, il n'y a qu'un pas. Dans l'au-delà, tout se touche. », désormais on dodeline les boniments et on anathématise les mystères paraboliques du quotidien.
J'ai sous les yeux, une chose de cauchemar, une carte hypothétique de la France d'avant qui est en fait la France d'aujourd'hui. Je referme les 120 journées de Sodome, 15:00 sonne comme un clairon et retentit dans la paroisse de mon âme. Dans l'immensité du vide de ma vie j'entreprends seul cette rude course, comme m'exposant seul pour tous ; je vais poser mes pas solitaires sur l'abîme sans fond, et dans mon enquête errante, chercher à travers l'immense vide, s'il ne serait pas un lieu prédit, lequel, à en juger par le concours de plusieurs signes, doit être maintenant créé vaste et rond. Dans son maigre espace concentrique demeure le sang du pauvre, le désespéré, le fou, l'exploité, mais aussi l'ivresse du riche, l'espéré, l’oppressé, l'exploiteur dans un séjour où ils demeureraient à l'aise des années durant en ignorant que, jusqu'au moment de leur mort, le vrai monde se situe outre toute connaissance et dont l'émerveillement du quotidien nous transporte subrepticement à nous défaire de cet espace, telle une force centrifuge. Et de même que le beau imite notre nuit, nous croyons, quand il nous plaira, imiter sa lumière.