Il était une fois, un petit village de la montagne algérienne. Il ne s’y passait rien d’autre que partout ailleurs : on va à la mosquée, au marché, travailler les champs, on papote entre voisin, on s’échange des considérations météorologiques… Un bled parmi tant d’autres, sur lequel veille le poids des traditions, avec ses joies, ses peines, ses difficultés quotidiennes, ses amitiés, ses jalousies. Un petit village dans lequel les jeunes coqs s’affrontent pour les beaux yeux de Sarah, la fille du maire.
Et tout ceci aurait pu perdurer encore longtemps si l’intégrisme ne progressait pas dans les pays. Les jeunes se laissent séduire par la véhémence des nouveaux prêches, tandis que les vieux n’apprécient guère d’être ainsi bousculés dans leur paisible vieillesse. Les paroles se durcissent. Les actes aussi. La tolérance se trouve bientôt être une espèce en voie d’extinction.
Yasmina Khadra publie ici un roman sans complaisance. Il refuse l’islamisme et l’écrit sans détour. S’attardant sur les victimes, mais analysant aussi ce qui poussent en avant les bourreaux. La religion parait n’être qu’un prétexte, un faire-valoir pour opprimer. Beaucoup de « convertis » appartenant à la race des vauriens sans avenir qui trouvent là un exutoire à leur haine, une possibilité de se venger de leur propre médiocrité en torturant ceux qui les méprisaient hier. Il y a aussi les lâchent qui se placent toujours du côté du plus fort, changeant tour à tour de camp selon les événements, ceux – terrorisés – qui préfèrent opprimer qu’être opprimés. Et tout en haut, quelques illuminés messianiques à la langue bien pendue.
Le climat de la katiba (nom des camps retranchés des groupes islamistes au Maghreb) me rappelle celui de la terreur de 1793. Prouver à chaque instant son fanatisme et ne pas risquer de dégringoler au bas de l’échelle. La surenchère apparaissant comme la seule voie possible à la survie dans un monde d’une cruauté inouïe : tuer avant d’être tué, rester coute que coute dans le rang, ne pas faiblir pour ne pas exciter la soif de sang des plus petits, ne pas faire trop de zèle pour ne pas inquiéter les meneurs.
L’écrivain livre des lignes terrifiantes. Des lignes qui inquiètent, bouleversent, terrifient, écœurent. Le récit des atrocités que l’auteur ne censure pas met l’estomac au bord des lèvres. Un roman à ne pas mettre en toutes les mains mais à lire avec attention et intérêt pour ceux qui le souhaitent.