Même si je l'ai déjà dit à l'occasion d'une précédente critique, Yasmina Khadra est un écrivain contemporain que j'apprécie énormément. Il a d'abord une facilité d'écriture et le talent que j'attends d'un romancier, celui de conteur. Mais cela ne peut suffire. Les sujets qu'il aborde sont d'autant plus intéressants qu'il fut un homme au centre des problèmes dont il parle. En effet, dans une vie antérieure, il fut un des responsables algériens de la lutte contre le GIA et le FIS. Cela le rend crédible.
"Les agneaux du Seigneur" est un des romans par lequel j'ai pénétré l'univers de Yasmina Khadra vers la fin des années 90 dont j'ai dû lire, depuis, une bonne vingtaine de romans. Signe factuel : il est le seul écrivain contemporain né après-guerre à faire partie de mon Top 10 des livres …
"Les agneaux du Seigneur" évoque la vie d'un paisible petit village algérien, loin de tout, où tous les gens se connaissent, se critiquent, s'entraident ou bien se jalousent. Il a suffi qu'un homme sorti de prison, d'Afghanistan, que sais-je, en bref imprégné d'un islam radical, revienne au village pour renverser les valeurs présentes et l'ordre établi depuis la guerre d'indépendance. Il s'agit d'une lutte pour le pouvoir qui va consister à éliminer petit à petit ceux qui détiennent la mairie, ceux qui détiennent un savoir (dangereux) et même les anciens (Hadj …) qu'on ne reconnait plus. Il va de soi que les propriétés récupérées ne sont pas perdues pour tout le monde …
Khadra analyse finement la logique implacable utilisée par la nouvelle mouvance intégriste qui s'appuie sur les frustrations de certains habitants emblématiques du roman comme Tej Osmane, le mécanicien qui a toujours souffert de l'humiliation subie par son père, Kada Hilal, l'instituteur qui ne parviendra pas à séduire la belle Sarah, fille du maire et aussi Zane, le nain, dont la difformité a toujours été moquée par l'ensemble des habitants et qui a une revanche à prendre.
Le sort cruel réservé à l'écrivain public, l'intellectuel local, surnommé Dactylo, est terrifiant. Cet homme n'était pas violent. Il mettait simplement en garde ses interlocuteurs contre cette nouvelle mouvance et défendait le patrimoine local, des ruines datant de l'époque romaine. Il n'était que la voix de la raison mais était, certainement, une épine intolérable dans le pied des nouveaux maîtres.
Roman bien construit dès la première scène qui évoque les relations d'amitié d'enfance entre trois hommes que tout va brutalement séparer. Le poids des ressentiments. Les petits mensonges et les grandes jalousies.
Roman angoissant, bouleversant dans le fait qu'on prend la mesure de la facilité dérisoire de la destruction d'une société, locale ici, certes, par un extrémisme, ici, religieux.