"Il s'était plaint de ne pas être libre et cette année-là aurait été sa première année de liberté"
Début de l'adolescence, premiers émois, premières prises d'indépendance, premières oppositions, premières responsabilités... On rencontre le collège Saint-Claude en même temps que Georges de Sarre, marquis en devenir, excellent élève que ses parents envoient pour la classe de seconde étudier dans un établissement privé qui prône l'éducation religieuse comme moyen d'élever ses résultats scolaires en même temps que son âme. Rien que ça.
Georges n'est pas un fervent religieux mais il se pliera aux règles car il s'est toujours plié aux règles et qu'à cette époque là on ne remet pas Dieu en cause. Messes, communions, études, méditations, confessions. Il semble que toute la vie de ce collège tourne autour du Divin et l'on se demande même quand les enfants ont le droit de s'amuser. Mais très vite, Georges découvrira que les règles sont faites pour être contournées, même – surtout – à Saint-Claude.
Parle-t-on d'amitié, parle-t-on d'amour ? Si la question est sans équivoque au vu des allusions de Lucien sur sa relation avec André, celle qui se développe entre Georges et Alexandre semble bien chaste, pas vraiment de nature à heurter qui que ce soit. Mais elle est interdite, car il est un "petit" , de ceux que l'on garde séparés des autres pour les préserver, garder cette image de l'enfant pur. D'ailleurs, n'est-ce pas justement sa pureté que Georges aime tant ? Son innocence, cette façon que l'on a, à 12 ans, de foncer sans réfléchir et de s'impliquer totalement. Quoi que l'environnement en pense, Georges tâchera de ne pas le corrompre et ce sera sans doute lui, le plus sage des deux. Il prendra, parfois trop tard, les responsabilités que sa situation d'aîné lui imposent. Mais une fois la relation entre eux établie, y a-t-il vraiment un moyen de rester "purs" et sages, alors qu'elle est interdite ?
Parlons-en de cette interdiction. Georges n'aurait peut-être jamais jeté son dévolu sur un de ses jeunes camarades, tout simplement parce que cela ne lui serait jamais venu à l'idée, si cela ne lui avait pas été interdit. Dès les premiers jours, il entend parler de ces "amitiés particulières", secrètes, qui ne doivent pas être entretenues, avec pour justification, en gros, que ce n'est pas bien. Même encore adulte, l'être humain est tel que si l'on lui met un gros gâteau sur la table en écrivant "ne pas toucher", c'est précisément ce gâteau que l'on a envie de goûter, et pas celui autorisé d'à côté, pourtant tout à fait appétissant. Pire encore, si l'on parvient à donner une raison jugée valable à une interdiction, on peut espérer la voir respectée. Sinon, tenter de la contourner, remettre en cause cette autorité est le propre de l'enfance et de l'adolescence qui cherche ses limites et jusqu'où les pousser.
Bien sûr il y a l'exemple de Lucien, mais cet exemple n'est pas suivi aveuglément, Georges construit sa propre relation, à sa manière. Plus difficile car elle implique un garçon qui n'est pas dans sa classe, avec qui il n'aurait même pas le droit de nouer une "amitié publique", le genre toléré dans l'établissement. Mais la difficulté est sans doute en partie ce qui le motive, car Georges cherche toujours l'excellence. Quel intérêt de relever un défi s'il n'est pas ardu ? Et si les sentiments de Georges envers Alexandre sont sincères, le dévolu jeté sur cet enfant est sans doute aussi une quête de liberté. Il prendra plaisir à cultiver le secret, à contourner les règles et à se jouer de l'autorité.
Cette autorité religieuse passe tour à tour pour aveugle, stupide, ridicule, contradictoire, manipulatrice. Si les cérémonies religieuses rythment le livre comme elles rythment la vie des élèves, tout ce qui tourne autour est calculs, mensonges. La profane que je suis a découvert dans ces descriptions de messes et de repentir autant d'hypocrisie que dans le reste du monde. Est-ce une volonté de l'auteur de ridiculiser la religion ? Le portrait n'est en tous cas pas tendre. Mais je crois que ce qui est remis en cause, plus que cela, c'est l'autorité, religieuse ou pas. A un âge où l'on a tendance à la remettre en question, plus l'on tente de presser, plus les élèves tentent de s'échapper. Et quand on ne peut pas partir, restent les secrets, les rendez-vous cachés, les amitiés particulières.