Pourtant distinguée par le prix des Libraires en 1961, Andrée Martinerie ne semble pas avoir réussi à se faire une place auprès du grand public avec son premier roman: "Les Autres Jours”. Il s’agit pourtant, à mon humble avis, d’une petite perle littéraire ; et il est dommage qu’elle ne soit pas plus connue et appréciée. L’autrice déploie une écriture d'une grande délicatesse, d'une intelligence éminente et d'une extrême sensibilité pour nous livrer un aperçu de l’histoire de Geneviève, une jeune femme de 33 ans, mariée et mère de deux enfants, qui prend soudainement conscience de la vacuité d'une existence privée d’amour. Véritable ode à la complexité des relations humaines, Andrée Martinerie brosse à travers la description d’une liaison particulière, celle de Geneviève et Jacques, un portrait plus large des relations conjugales. Tout en finesse, en évitant les pièges de l’exagération, l’autrice nous invite à assister à l'éveil douloureux de la conscience d'une femme qui attendait tout de l’amour, mais qui se rend compte que son mariage est un échec. Elle nous invite à accéder à l’intériorité d’une femme souffrant d’un drame banal et répandu: la désillusion amoureuse au sein du couple. Loin d’être la victime d’un mari cruel et violent, Geneviève est prisonnière d’une tragédie beaucoup plus sournoise et subtile: celle de l’insatisfaction conjugale. Car Jacques est un homme doté de nombreuses qualités: intellectuel brillant, il est non seulement reconnu par ses pairs, mais se montre aussi engagé pour les grandes causes, empathique envers les opprimés, et est surtout un père affectueux et attentionné. S’il est un homme tout ce qu’il y a de plus socialement respectable, et un père accompli, c’est en tant que mari qu’il révèle ses failles, se montrant aveugle et imperméable aux besoins émotionnels de son épouse. Loin des stéréotypes, l’autrice nous propose une perspective réaliste et nuancée sur la manière dont certaines femmes peuvent se retrouver prisonnières d'une relation insatisfaisante. Elle met également en évidence la difficulté de communiquer cette insatisfaction sans être perçue comme une personne capricieuse,aisée voire hystérique.
Cette œuvre revêt une dimension profondément féministe, dénonçant la situation précaire des femmes dans l'après-guerre. Assignées aux tâches domestiques et maternelles, elles ont été conditionnées à tout espérer de l'amour, mais sont contraintes de maintenir une façade, bien que tout le monde sache que cet amour tant espéré reste hors de portée.
Une fois que l'on a accepté la réalité de la situation, après avoir surmonté le chagrin et la déception de l'amour perdu, que reste-t-il ? Andrée Martinerie présente une solution potentiellement inédite pour son époque, en explorant la voie d'un adultère heureux. Geneviève réalise son rêve avec Pierre, sans avoir à renoncer à sa vie familiale. Cette alternative désacralise considérablement la notion de mariage et présente une autre voie à emprunter lorsqu'elle ne répond pas aux attentes et aux besoins personnels. Ainsi, l'autrice nous offre une vision nuancée et subtile de la vie amoureuse et de ses complexités.
En somme, cette œuvre captivante explore une alternative à envisager lorsque la relation conjugale ne répond plus aux attentes. On pourrait la rapprocher d'une version moderne d'Anna Karénine, de par les nombreux parallèles entre les deux romans, notamment la tragédie qui s'ensuit. Néanmoins, peut-il exister une voie alternative qui ne mène pas à un tel dénouement tragique ?