Précédemment, l’humanité venait de connaître son génocide le plus meurtrier de son histoire. Lassés d’être exploités par les peuples intérieurs, de vivre dans des conditions insupportables et de mourir dans l’indifférence, un groupe de ceinturiens a choisi la voie de la vengeance et a lancé des attaques meurtrières sur la Terre, provoquant des morts par milliards. C’est dans ce contexte de haine accumulé qu’a proliféré Marcos Inaros, l’ex compagnon de Naomi, qui par son charisme et ses belles paroles, a su rallier à lui plusieurs chefs indépendants et unir le peuple de la Ceinture sous une même bannière. Après cette terrible attaque, les forces de la Terre, tant bien que mal gouvernées à distance depuis la lune, et Mars, toujours sous le choc de la défection d’une partie de son armée, Fred Johnson et les factions qui lui sont restées fidèles se sont alliés pour contrer cette menace. Le système solaire est ainsi devenu un gigantesque échiquier, et alors que des vaisseaux disparaissent dans l’indifférence générale par une menace dissimulée, l’humanité pourrait bien être sur le point de se détruire toute seule…
Ce tome marque une étape importante dans la saga expanse. Un peu comme si c’était la conclusion de tout ce qui avait été mis en place jusqu’à présent. On retrouve en effet un grand nombre de personnages déjà introduits, même de façon brève.
Avarasala, à l’énergie digne d’une étoile géante loin d’avoir consommée tout son noyau, tente de préserver le gouvernement d’un monde à l’agonie sans céder elle-même au désespoir qui menace de l’envahir ; tandis que sur Terre le pasteur Anna continue, malgré la souffrance et les privations, à répandre la bonté et promouvoir l’entraide, à un moment où il est facile d’oublier ces concepts, y compris pour sa propre femme.
Sur Ganymède, Drax ne demande qu’à se concentrer sur ses recherches, mais ne peut ignorer la guerre qui fait rage lorsqu’il parait de plus en plus évident que le grenier de la ceinture a bel et bien choisi un camp, et que ses recherches pourraient bien avoir un intérêt plus que scientifique.
La pilote martienne Bobby revient à bord du Rossinante, cette fois avec la casquette de chef d’équipe. Et ce n’est pas le seul changement puisque l’équipage compte en plus Clarissa Mao désireuse de se racheter, même si Holden a bien du mal à lui faire confiance. Pendant un temps, d’autres membres de l’APE se sont même greffés à l’équipage réduit, donnant lieu à de nouvelles relations. Ce qui n’est pas là aussi sans perturber le capitaine, perturbé dans ses repères, qui ne retrouve décidemment plus son équipage devenu une famille.
Michio Pa, ancien officier du Behemoth lors de l’expédition vers les Anneaux, qui s’était mutinée contre son supérieur après avoir constaté l’incompétence de ce dernier, s’est également détourné de son chef Fred Johnson, dont elle ne pouvait plus suivre la ligne pacifique, pour rejoindre Inaros et son ambitieux plan de rendre la Ceinture forte et indépendante. Mais elle déchante une nouvelle fois lorsqu’elle réalise que les intérêts des ceinturiens n’entrent pas dans les intérêts de ce nouveau leader autoproclamé, un mégalomane de plus qui abuse de l’espoir et de la confiance des gens dont il a la responsabilité. Intègre et femme de principe, elle va jusqu’à renoncer à sa position bien placée pour s’aventurer, elle et toute sa famille, dans une rébellion à haut risque face à un homme qui n’hésite pas à utiliser la force contre les siens pour assouvir ses plans.
Aux côtés de ce dernier, Filip, hanté par la trahison et les paroles de sa mère, continue d’essayer de rendre fier son père, convaincu de sa sagesse et de sa force. Mais lorsqu’après une défaite les reproches lui tombent dessus, la confiance se fissure et le doute s’installe. Se pourrait-il que sa mère ait eu raison ? Se pourrait-il que les stratagèmes supposément minutieusement préparés de son géniteur ne soient qu’une nébuleuse de poussière ?
Ailleurs dans les mondes de la Ceinture d’autres chefs se posent des questions, à l’image de Anderson Dawes, véritable manipulateur qui s’est forgé un puissant réseau sur Cérés, et qui s’était déjà retrouvé face au détective Miller. Ce dernier, plus pragmatique que violent, mais qui s’encombre peu de principes éthiques, se demande aussi s’il est vraiment dans l’intérêt de la Ceinture de suivre cet homme… Il faut dire que depuis le coup de force de l’envoi des astéroïdes, Inaros a amorcé une stratégie de repli, changeant ses plans en cours de route, sans engranger de nouvelles victoires. De quoi semer le doute même chez ses généraux les plus fidèles…
En plus de devoir s’allier avec les chefs les moins virulents de la Ceinture, parfois d’anciens adversaires, l’alliance des Intérieurs doit donc aussi compter avec des factions dissidentes de leurs ennemis…
Sur la station Médina, désormais aux mains des rebelles de l’APE, qui contrôle le flux venant et sortant des portes, les personnes positionnées sur la station s’inquiètent que ce déchainement de violence ne finisse par les atteindre et les mettre en danger, la menace pouvant venir de leur propre camp. D’autant qu’en bas de l’échelle du commandement, ils n’ont qu’une vague idée des forces en jeu. Lorsque des officiers de la faction martienne dissidente viennent leur apporter leur aide, doivent-ils être soulagé de leur soutien, ou s’inquiéter de leur ingérence ?
Cette dernière, retranchée derrière une porte, reste en retrait et se contente de diffuser un message menaçant, constituant une inconnue pour les forces en conflits dans le système solaire.
Au milieu de ce tourbillon de conflits, le côté intimiste des personnages n’est pas oublié. Si dans le tome précédent les auteurs nous avaient permis de côtoyer d’avantage les membres de l’équipage qui partage les aventures de Holden depuis le début, leur point de vue est également abordé ici. A l’image du pilote Alex, qui malgré cette période de guerre, se rapproche d’un membre de l’APE avec qui il partage une attirance évidente…
On retrouve de nombreux mondes déjà visités, comme Ganymède, Cérès, ou Médina et le livre nous amène même sur les laboratoires de Luna reconvertis en camp de fortune pour les réfugiés terriens, mais aussi, brièvement, sur les chantiers de Pallas et les dômes de Titan.
Plus qu’auparavant, il est question du mépris et de la haine qu’un peuple peut montrer face à un autre, et des amalgames qui surviennent facilement. Difficile après l’attaque dont la Terre fut victime de ne pas considérer l’ensemble des Ceinturiens comme un ennemi à éradiquer…
Quelque chose que Holden a très bien compris, et qu’il tente de corriger à sa façon…
Bien entendu, « les cendres de Babylone » ne manquera pas de moments épiques, à l’image de l’assaut sur Médina et la désactivation des canons installés sur le noyau central, ou l’intense course-poursuite dans l’espace avec les missiles se rapprochant inexorablement du Rossinante. Niveau personnage, on compatira pour Michio Pa, femme dont l’intégrité s’avère plus qu’une combinaison mais fait partie intégrante d’elle-même ; Holden, avec des retrouvailles touchantes avec sa famille nombreuse, qu’il doit laisser à contrecœur pour des missions capitales ; ou encore Filip, jeune homme perdu dont les points de repères se sont décrochés de leur orbite, dont on espère malgré ses crimes un dénouement favorable.
« Les cendres de Babylone » s’avère prenant de bout en bout, sans certains écueils des tomes précédents. Pas de lenteur ou de passage moins intéressant, de personnages plus faibles que d’autres. A la limite les passages sur les personnages de la station Médina, introduits pour l’occasion, peuvent questionner quant à leur utilité, mais ils contribuent à montrer l’éventail de réaction et de points de vue de ce conflit à échelle astronomique.
Si la première trilogie (tome 1, 2, 3) abordait une humanité divisée au bord du conflit, cette deuxième (4, 5, 6) montrait les conséquences sur les organisations humaines de la découverte de nouveaux territoires à coloniser, et la modification des rapports de force qui en résulte. Vraisemblablement, la prochaine traitera du transfert des zones d’intérêts du système solaire aux nouveaux mondes à portée de vaisseau, avec de nouveaux pouvoirs à l’œuvre. Un peu comme dans l’Histoire le pôle dominant s’est peu décalé de la Méditerranée à l’Europe au Moyen-Age, avant que bien plus tard les Etats-Unis, ancienne colonie, ne ravissent la suprématie à l’Europe coloniale décadente.
A la fois plus intense et plus profond, ce tome 6 marque un tournant et achève avec brio plusieurs intrigues, dévoilant toute la richesse de cet univers. Une nouvelle ère s’annonce désormais pour cette saga dont l’intérêt semble avoir monté à la propulsion supérieure.