Les Châtiments
7.5
Les Châtiments

livre de Victor Hugo (1853)

Haillon humain, hibou déplumé, bête morte, / Tu resteras dehors et cloué sur la porte.

Lu en Décembre 2021. Ed LdP. 8,5/10


Mon premier recueil poétique de Hugo.
Ce qui semble systématique dans l'oeuvre Hugolienne, c'est sa densité et son intensité. Les châtiments sont d'une très grande densité et intensité, poétique et politique. C'est toujours surprenant d'entendre tout ce que cet homme a sur le cœur et sous la plume.


Ainsi, le principal reproche que je ferais à ce livre, c'est le même que celui que j'ai fait aux Misérables, c'est que c'est difficile ! De par sa densité et sa longueur, son érudition aussi qui se conjugue ici avec une actualité politique qui n'est connue que des spécialistes ou des gens vivant en 1850. Mais une fois qu'on a admis que c'est difficile, que ça demande du temps d'adaptation, et bien on prend son temps, on s'imprègne de cet univers, et on apprécie.


C'est pourquoi je pense vraiment avoir eu raison de lire le recueil dans l'ordre, il y a une vraie progression qui se met en place, des véritables thématiques dans chaque livre, ou au moins des nuances qui n'ont pas été laissées au hasard par l'auteur. Tout comme je pense aussi avoir eu raison de lire chaque poème au moins 2 fois, 9 fois sur 10 je ne comprenais réellement le poème qu'à ma deuxième lecture, silencieuse et plus patiente.


Le moins qu'on puisse dire c'est que le second empire s'en prend plein la gueule, c'est le maître mot d'Hugo, humilier la dictature de Napoléon le Petit, dénoncer la trahison, écraser l'infâme, 100 ans après Voltaire.
Et la plupart des poèmes pamphlétaires sont très souvent jouissifs, donc ça marche.
Au-delà de son rôle de belluaire, Hugo sait aussi toucher notre sensibilité par quelques poèmes tragiques et pathétiques (Souvenirs de la nuit du 4 est peut-être le plus beau du recueil).
Hugo a varié les formes pour les causes qui le touche particulièrement : l'éloge de l'exilé, le refus de la peine de mort, l'union de tout le peuple et tous les peuples etc ...
Mais surtout, on ne peut pas l'oublier, Hugo a écrit comme si il était le phare dans la nuit, seul capable de guider les hommes vers la vérité. Il les harangue, il les sermonne, mais presque toujours en se mettant lui-même en avant. Hugo a également inclus Dieu dans son œuvre et s'est largement inspiré du poète latin Juvénal, l'auteur des Satires.


En bref, Les châtiments est un grand livre de poésie politique, bien qu'il soit difficile d'accès pour le lecteur du Xxième siècle, de par sa longueur et ses nombreuses références qui nous échappent. Ce fut une lecture qui demanda du temps et de la patience, mais après avoir passé la mise en route, ce fut un plaisir de revenir chaque jour lire ma demi-douzaine de poèmes, toujours dans le détail.


Quelques détails plus bas d'ailleurs...


Au moment de rentrer en France : 10
Fantastique ode patriotique. C'est la grandeur héroïque d'un poète amoureux de sa patrie.
Mais c'est beau car il en parle comme à une femme qu'il aime. On sent la grande tristesse du poète qui fait fi de cette tristesse pour arriver courageux.


1,V- Cette nuit là : 9,5
"Les saint-barthélémy sont encore possibles."
J'aime beaucoup l'hypotypose de la sournoise entreprise de Napoléon Le Petit et même l'entendre parler. On se croit réellement à la Saint-Barthélémy.


1,XII-Carte d'Europe : 9,5
Hommage à tous les patriotes révolutionnaires d'Europe qui ont voulu se défaire de leurs rois mais qui ont bien souvent été matés par une tyrannie bien plus grande qu'imaginée. Vraiment superbe ode universaliste et révolutionnaire.
"Pour le peuple et le droit en vain nous combattîmes. / Baudin tombe, agitant son écharpe en lambeau. / Pleurez dans les forêts, pleurez sur les montagnes ! / Où Dieu mit des édens les rois mettent des bagnes ; / Venise est une chiourme, et Naple est un tombeau."


2,III - Souvenir de la nuit du 4 : 10
Superbe poème écrit en alexandrin. Terriblement triste, touchant et révoltant.
"Est-ce qu'on va se mettre / À tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu ! / On est donc des brigands !"


2,VI - L'autre président : 9,5
Blâme terrible du Président Dupin. La partie III surtout qui le décrit comme un cloporte des égouts est terrible. Et le rythme 3 alexandrins, 1 demi alexandrin, rend l'ensemble encore plus tranchant.
"Et que l'histoire un jour ne s'en rende plus compte, / Et dise en le voyant dans la fange étendu : / — On ne sait ce que c'est. C'est quelque vieille honte / Dont le nom s'est perdu ! —"


3,XIV- À propos de la loi Faider : 10
Chef d'œuvre d'éloquence et d'actualité. Je peux le connaître par coeur.
"Un beau matin, le peuple s'éveillant va voir / Sa Constitution, temple de son pouvoir ; / Hélas ! de l'antre auguste on a fait une niche. / Il y mit un lion, il y trouve un caniche."


4,IX - « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent … » : 9,5
C'est une superbe mélancolie sur la raison de vivre et la tristesse de vivre sans but, qui finit par conclure qu'il faut encore mieux vivre sans but que vivre en malfrat. C'est très rythmique, ça pourrait être râpé.
"Car le plus lourd fardeau, c'est d'exister sans vivre. / Inutiles, épars, ils traînent ici-bas / Le sombre accablement d'être en ne pensant pas."


4,XIII- On loge à la nuit : 9,5
Poème le plus orgiaque et dégueulasse qui présente l'Elysée comme la ferme des animaux, une auberge de voleurs avec des animaux aux pieds de Bonaparte. Bourré de référence mais incroyable. Je vois la scène des parents-porcs dans Le Voyage de Chihiro.
P.Albouy note que ce poème est un des meilleurs exemples de cette union du merveilleux et du réalisme dans Les Châtiments.
"L'antique hôtellerie est toute illuminée. [...] On y déchiffre encore ces quelques lettres : — Sacre ; — / Texte obscur et tronqué, reste du mot Massacre."
"Le boeuf Peuple rôtit tout entier devant l'âtre ; [...] Magan qui l'a tué, Troplong qui le fait cuire. / On entend cette chair pétiller et bruire."


5,VIII - «Le progrès calme et fort...» : 9,5
Plaidoyer contre la peine de mort, même a l'encontre de Napoléon III.
"Peuple, jamais de sang ! — Vertueux ou coupable [...] Sachons-le bien, la honte est la meilleure tombe."
"Les exterminateurs, avec ou sans le droit, / Je les hais, mais surtout je les plains. On les voit, / À travers l'âpre histoire où le vrai seul demeure, / Pour s'être délivrés de leurs rivaux d'une heure, / D'ennemis innocents, ou même criminels, / Fuir dans l'ombre entourés de spectres éternels."


6,V - Éblouissement : 10
Incroyable poème épique blindé d'exclamations, d'apostrophes, de vociférations à l'égard de tous ces minables au pouvoir et de tous les tyrans puissants et fous de l'Histoire. C'est d'une puissance poétique, musicale, rare. On le lit à bout de souffle. Je sens que l'indignation pleine de révolte commence de nouveau à dépasser la résignation.
"Ma rêverie au fond de ce règne pénètre, / Quand, ne pouvant dormir, la nuit, à ma fenêtre, / Je songe, et que là-bas, dans l'ombre, à travers l'eau, / Je vois briller le phare auprès de Saint-Malo."
"Donc ce moment existe ! il est ! Stupeur risible ! / On le voit ; c'est réel, et ce n'est pas possible. / L'empire est là, refait par quelques sacripants. Bonaparte le Grand dormait. Quel guet-apens !"
" La société va sans but, sans jour, sans droit, / Et l'envers de l'habit est devenu l'endroit."
"Ayant été, du temps qu'ils avaient un cheveu, / Lâches sous l'oncle, ils sont abjects sous le neveu"
"Tyrans ! enseignez-moi, si vous le connaissez, / Enseignez-moi le lieu, le point, la borne où cesse / La lâcheté publique et l'humaine bassesse !"


6,XIV - Floréal : 9,5
Superbe poème, à l'incroyable progression. Le poète se plaît à méditer paisiblement aux côtés des oiseaux quand son "oeil distrait, qui vers les cieux remonte, / Heurte l'un de ces noms qui veulent dire honte".
"Soyez maudits, bourreaux qui lui masquez le jour, / D'emplir de haine un coeur qui déborde d'amour !"
Ce qui est frappant c'est que Hugo montre qu'il sait encore écrire la légèreté mais que la situation de crise l'obsède.


7,III - Le chasseur noir : 9,5
Présage de Lux après avoir subit Nox. Forme de chanson mélangeant le romantisme des bois sombres et la politique révolutionnaire des châtiments.
"Qu'es-tu, passant ? Le bois est sombre, / Les corbeaux volent en grand nombre, / Il va pleuvoir. / — Je suis celui qui va dans l'ombre, / Le chasseur noir !"


7,XI - « Quand l'eunuque régnait… » : 10
Chef d'œuvre de violence, de rancœur, d'exaltation du poète contre Napoléon.
"Non, coquin ! Le charnier des rois t'est interdit. / Non, tu n'entreras point dans l'histoire, bandit ! / Haillon humain, hibou déplumé, bête morte, / Tu resteras dehors et cloué sur la porte."


7,XII - Paroles d'un conservateur : 9,5
Grande finesse, un conservateur, dont on s'imagine au début qu'il est du XIXème siècle, justifie en fait la crucifixion de Jésus qui est un anarchiste, qui est impie. Retournement des valeurs, les thèses traditionalistes sont toujours héritées de révolutions qui ont fini par imposer de nouvelles traditions.


Lux : 9,5
Poème de la lumière, lumière divine même. Il faut garder confiance en Dieu, c'est lui qui maîtrise tout ça et les proscrits doivent continuer à y croire, si il décide qu'il doit y avoir des exilés, il y a une raison.
Cela permet notamment :
"Fêtes dans les cités, fêtes dans les campagnes ! / Les cieux n'ont plus d'enfers, les lois n'ont plus de bagnes / Où donc est l'échafaud ? Ce monstre a disparu. / Tout renaît. Le bonheur de chacun est accru / De la félicité des nations entières."
"Et nous qui seront morts, morts dans l'exil peut-être, / Martyrs saignant, pendant que les hommes, sans maître, / Vivront, plus fiers, plus beaux, / Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine, / Nous nous réveillerons pour baiser sa racine / Au fond de nos tombeaux !"

Le poème entier est une écriture superbe, pleine de métaphores, extrêmement douce et lumineuse, tout s'apprendrait par cœur. Le bonheur final, l'espoir, fait du bien dans toute cette horeur.

Arimaakousei
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le 16 janv. 2022

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