Paul Guimard est comme une incarnation du “petit maître” du roman français du XXe siècle : onomastique typique — prénom banal, nom fossile d’un lointain prénom germanique, — semi-oubli malgré de beaux succès contemporains, une adaptation cinématographique qui a connu un certain succès, etc. Les Choses de la vie sont un roman cohérent avec cette image. Il est très bref (166 pages dans mon édition) et se concentre sur quelques instants de la vie d’un homme, avocat célèbre : son grave accident de voiture sur une route de campagne. L’auteur joue avec cet instant de bascule qu’il a choisi, dans plusieurs sens. Comme narrateur, il consacre plusieurs pages à une analyse serrée de l’accident, dans un bel exemple d’attention à la technique (qui est aussi une belle consécration de l’automobile, devenue comme peu d’autres accessoires modernes le support légitime de tous les discours).


Mais c’est surtout comme moraliste que se positionne Guimard, en prêtant à son protagoniste — qu’on pourrait ici traduire, par une étymologie apocryphe, le “premier agonisant” — une longue réflexion sur les choses de la vie, sur ses plaisirs, et sur leur engloutissement dans la mort. En creux, on voit se dessiner comme une morale de l’engagement avec la vie ; ainsi quand le personnage principal répudie l’engagement pris avec sa compagne de ne pas se marier, dans une belle réfutation de la “Non-demande en mariage” de Brassens (“Absurde ! Cette crainte de l’intimité quotidienne participe d’une mesquinerie de cœur. Lorsque je serai sur pied j’épouserai Hélène.”). A contrario, comme dans l’ombre d’un anti-ars moriendi moderne, les dénégations du personnage de Guimard soulignent aussi les limites d’une société où l’on ne sait pas mourir : “qu’on frôle la mort d'un peu près et aussitôt resurgit l’enfant des cavernes, hanté d’impulsions confuses et d’images élémentaires, de visions simplistes d’un autre monde anthropomorphe qui ressemble à celui-ci comme un frère macabre”.


Cette angoisse terminale, qui hante le roman, lui prête une force nécessaire et des moments assez justes. Elle ne suffit pas pour autant à en faire un grand livre, faute d’un peu d’ampleur dans le traitement. Les Choses de la vie reste donc assez anecdotique, quoi que plutôt juste dans l’ensemble.

Venantius
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le 28 janv. 2018

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