Retour aux États désunis, fin du XXIe siècle. La nation américaine n’a en effet pas tenu le choc du changement global. Des portions entières de son territoire ont été submergées par l’élévation du niveau des océans, engloutissant les fières cités de verre et d’acier de l’ère accélérée, comme les survivants l’appellent. Elles sont devenues des terres contestées, ensanglantées par des conflits incessants menés par des milices d’enfants soldats commandées par des seigneurs de la guerre de pacotille. Des tigres de papier aux yeux des puissantes armées de mi-bêtes protégeant les intérêts des grandes compagnies, mais suffisamment nuisibles pour ravager les communautés qui survivent aux frontières des cités englouties par la jungle et les marécages. Née pendant la mission d’interposition chinoise, Mahlia est une bâtarde. Autrement dit, une cible de choix pour la haine des habitants de cette zone de guerre. Abandonnée par son père lors du reflux des casques jaunes, elle ne doit sa survie qu’à l’intervention de Mouse, un de ces innombrables vers de guerre. Recueillie par le Dr Mahfouz, elle apprend à soigner les gens, en dépit d’une main tranchée par les miliciens. Jusqu’à l’irruption d’un mi-bête fugitif et de ses poursuivants…
Si Ferrailleurs des mers initiait une série intelligente et divertissante destinée à un lectorat juvénile, Les Cités englouties enfonce le clou avec brio, dévoilant davantage le futur post-apocalyptique esquissé par Paolo Bacigalupi. Dans le précédent roman, on se focalisait sur les damnés de la Terre, usant leur force et leur santé sur les chantiers de démolition navale. Le présent ouvrage livre un tableau cru et réaliste des guerres civiles nées dans le tiers monde et transposées ici, avec une grande crédibilité, dans le contexte d’une Amérique future frappée par un effondrement civilisationnel total.
La guerre et les enfants soldats sont au cœur du roman. L’auteur y dévoile, avec un luxe de détails, le processus de déshumanisation mené par les adultes pour transformer de pauvres gosses en chair à canon, prête à se sacrifier au nom d’idéaux factices ou à user de cruauté contre l’ennemi ou le simple quidam contre une dose de drogue. En grattant sous la façade de monstruosité de ces combattants juvéniles, Paolo Bacigalupi révèle toute la complexité des relations humaines et l’ambivalence des allégeances en temps de guerre.
Les Cités englouties s’adressant avant tout à un lectorat adolescent, voire adulescent, on retrouve bien entendu la plupart des motifs (ou poncifs) inhérents au roman d’apprentissage, saupoudrés d’une bonne dose d’aventure. Paolo Bacigalupi brosse ainsi une galerie de personnages incarnant quelques archétypes bien connus des amateurs du genre. Il ne renonce pas pourtant à une certaine épaisseur psychologique, leur conférant un sens éthique bienvenu. Parmi eux, retenons surtout Malhia dont l’éducation s’accommode fort mal avec la réalité du terrain. Victime collatérale de la guerre et de l’échec de l’interposition chinoise, l’adolescente a fait l’apprentissage dans sa chair du racisme et de la haine d’autrui. Ocho est un autre genre de victime. Recrue forcée, l’enfant soldat a survécu au processus de conversion le transformant en combattant dévoué à la cause de son seigneur de la guerre. Il reste pourtant un gosse, mettant la camaraderie et les serments au-dessus de la duplicité des adultes. Enfin, n’oublions pas Tool, le mi-bête aperçu dans Ferrailleurs de la mer, dont le rôle prend ici une réelle importance. Loin de la chimère dotée des gènes d’une hyène, d’un tigre, d’un chien et d’un homme, véritable machine de guerre insensible à la douleur ou à la peur, on découvre un être sensible à l’empathie, en mesure de dépasser son conditionnement pour atteindre une certaine conscience de soi et d’autrui. Une évolution intéressante faisant fort heureusement l’économie de tout angélisme.
Même s’il relève du segment commercial du Young Adult, Les Cités englouties se montre bien plus intéressant que Ferrailleurs des mers. À la fois tragique et optimiste, le roman de Paolo Bacigalupi dévoile de surcroît une dimension éthique qui n’est pas déplaisante. À suivre donc avec Machine de guerre, troisième opus de la série.
Source