Il est parfois difficile de juger une oeuvre sans en juger l'auteur en même temps. De toute évidence Jean-Jacques, bien qu'il ait acquis son statut d'incontournable, est sans doute l'une des figures les plus détestables de la littérature française.
Si ses discours sur l'origine des langues ou l'origine des inégalités sont remplis d'idées qui me font gentiment sourire, et si son essai sur l'éducation doit certainement s'inspirer de l'abandon de ses six enfants (!), la sincérité qui émane de ses Confessions me rend indulgent vis-à-vis de son projet : non pas en le rendant sympathique - ceci étant voué à l'échec -, mais en le rendant compréhensible.
Ses intentions étant clarifiées, il s'agit à présent d'en critiquer le résultat. Sa langue est très belle ; si on avait déjà pu apprécier sa syntaxe et son argumentation dans ses essais, ce qui fait, pour quelqu'un qui aime les mots tel que moi, la richesse de l'ouvrage c'est l'abondance de régionalisme et de néologisme qui parcourt l'ensemble du texte. J'ai également beaucoup apprécié le tableau de son époque que Jean-Jacques arrive à peindre avec une certaine ironie. Ce qui fait également la force de ce texte c'est le pouvoir inspirateur qu'il a eu sur ses lecteurs ; témoin de l'air du temps, il ouvre la voix aux Romantiques qui lui succéderont.
En ce qui concerne le prétendu complot dont Jean-Jacques se serait senti victime, c'est un objet d'analyse extrêmement intéressant. L'édition de la Pléiade semble suggérer, dans les notes et la notice qui accompagne le texte, que certains soupçons de Jean-Jacques étaient justifiés. Mais la différence c'est que, là où vous et moi verront une simple attaque ad hominem, Rousseau y voit le signe d'une conspiration. Il avait tendance à monter vite sur ses grands chevaux, et ses contemporains, tels que Voltaire, ne se sont pas privés de provoquer ce personnage haut en couleur. Je tente là une simplification extrême mais je crois important de souligner que la paranoïa de l'auteur était justifiée (d'autres recherches indiquent en effet qu'il y aurait tout de même eu quelques coup bas de ses anciens amis lassés de son caractère, et je les comprends).
Finalement, l'oeuvre, en plus de son caractère prophétique, se révèle un objet d'étude psychanalytique très intéressant, sans pour autant échapper à quelques longueurs.