De l'inceste, de la finesse dans la psychologie, un Marquis moins frénétique mais au sommet...
Etant donné que j'ai lu l'édition Livre de Poche, j'ai eu droit à cinq nouvelles ("Faxelange", "Florville et Courval", "Dorgeville", "La Comtesse de Sancerre" et "Eugénie de Franval" !!!) où étonnamment la violence physique, pas ou très peu présente ici, laisse totalement la place à la psychologie. Quand aux descriptions scabreuses habituelles de l'écrivain, elles sont totalement absentes. Ici, sa seule arme est donc la psychologie mais sous sa plume elle peut être aussi redoutable.
Si les nouvelles "Faxelange", où ne connaissant pas à l'avance le ton tragique des nouvelles on peut être étonné que l'héroïne, qui a épousé bien malgré elle un bandit de grand chemin, choisisse "les malheurs de la vertu" à la place des "prospérités du vice", et "La Comtesse de Sancerre" restent assez conventionnelles (mais pour ce qui est de l'écriture, rien à dire si ce n'est des éloges !!!), les trois autres sont de l'or...
Ces dernières ont le point commun d'avoir pour thème l'inceste...
Dans "Florville et Courval", l'héroïne, malgré sa détermination jusqu'au-boutiste à être une vertueuse, va commettre sans le vouloir et sans le savoir les pires crimes dans le domaine de l'inceste. Le Marquis de Sade fait semblant de soutenir la protagoniste dans sa détermination en adoptant le ton d'un défenseur acharné de la vertu, mais en lisant entre les lignes on s'aperçoit qu'il en est tout autre...
"Dorgeville" est sans conteste le sommet des cinq nouvelles, et la fin de celle-ci, où le personnage principal ne parvient pas à détester ou plutôt même ne parvient pas à ne pas continuer à aimer celle qui aurait pu être son bourreau, est un summum dans la description de la psychologie humaine.
"Eugénie de Franval", là aussi notre écrivain fait semblant de soutenir avec acharnement la vertu et les vertueux, mais sur un ton tellement appuyé, tellement grotesque, tellement ridicule, qu'on a aucun mal à comprendre qu'il a choisi en fait le camp inverse ; et là où est sa force c'est qu'on choisit le même camp que lui.. Il est à signaler tout de même le portrait d'un ecclésiastique, dans lequel s'il est un peu moqué il est fait en sorte qu'on ressente tout de même une pointe de sympathie pour lui car il est véritablement sincère et bon dans son engagement à faire triompher la vertu, loin de l'hypocrisie de l'Eglise du XVIIIe siècle en général...
Le lecteur ne manquera pas de deviner dès le début de chacune de ces nouvelles une partie de la fin, mais jamais la fin entière car l'auteur réussit à chaque fois à dépasser largement ses attentes...
Et impossible de ne pas évoquer une plume d'une grande beauté fluide et limpide, bien loin de la lourdeur de la prose de beaucoup d'écrivains des XVIIIe et XIXe siècles (même parmi les plus réputés !!!), qui est un régal à lire.
Le Marquis mérite ici véritablement son surnom de "Divin"...