Quelle belle idée que celle de ce livre : raconter les croisades non pas du point de vue chrétien, avec ce romantisme orientalisant liées aux reliques du Christ, à Indiana Jones 3, mais du point de vue de ces populations arabes qui ont vu arriver une horde de brutes caparaçonnées qui ont pris leurs villes.
Amin Maaalouf est allé consulter les sources, et suit un plan chronologique : L'invasion (1096-1100), l'occupation (1100-1128), la riposte (1128-1146), la victoire (1146-1187), le sursis (1187-1244), l'expulsion (1224-1291). Il cite souvent des extraits de chroniqueurs arabes, qu'il contextualise. Son livre est cependant celui d'un romancier/essayiste plutôt que d'un historien : il brosse le portraît physique et moral d'un personnage en quelques expressions bien choisies, ménage des effets dans son récit, raconte avec délectation tous les détails véristes de tel siège, de telle intrigue de cour....
Ce faisant, il s'est peut-être un peu laissé prendre dans l'écheveau très serré des intrigues de son récit. J'ai eu du mal à entrer dans ce livre, car on parle beaucoup à partir de destins individuels. Il y a donc des personnages qui suscitent de grands espoirs mais meurent bêtement, des incompétents qui font beaucoup de mal, des agitateurs qui suscitent des réactions qu'on n'osait espérer, des successions contestées qui entraînent des bains de sang (très souvent). On a donc une reconstitution année après année des relations entre toutes ces villes arabes divisées (Bagdad, Alep, Damas, Le Caire...), et l'on voit intervenir des acteurs inattendus : la secte des assassins, l'empire mongol au faîte de son expansion, etc... Pour ne pas être trop perdu, il vaut mieux se reporter fréquemment aux cartes heureusement fournies en début et en fin d'ouvrage.
Cependant le choix qui est fait m'a un peu laissé sur ma faim. Car pris dans le tourbillon de ces intrigues de cour arabes, j'ai un peu regretté de ne pas en avoir davantage appris sur cette société arabe, sur ses structures sociales, sa culture, et sur la manière dont se font au quotidien les interactions avec les "Franj" (comme on appelle les croisés) dans les territoires occupés.
Pour faire simple, ce livre répond à la question : comment les Arabes ont-il pu se faire prendre leurs terres et comment les ont-ils reprises ? La réponse à la première question est : Les Arabes ont perdu car ils étaient divisés par une succession de querelles de succession toxiques et car les Francs ont été largement sous-estimés dans leur savoir-faire poliorcétique. Et la réponse à la deuxième est : deux grands souverains, Noureddin puis son successeur Saladin, ont su mettre fin à la division par une habile propagande prônant le djihad et vantant leur train de vie modeste, pour ne donner prise à aucune accusation d'intérêt personnel ou de corruption.
La post-face fait remarquer d'ailleurs, que la plupart des chefs de la reconquête n'étaient pas d'origine arabes : Saladin était Kurde, etc... Au reste je n'ai pas toujours bien suivi la rivalité entre Turcs et Arabes, sinon qu'elle avait eu beaucoup d'effets délétères pour le camp oriental.
Les Croisades vues par les Arabes est un récit prenant si vous aimez les successions de siège et d'intrigues de cour, à la Game of Thrones au fonds. C'est un livre plaisant et dense, qui peut amener vers d'autres lectures, mais qui m'a un peu laissé sur ma faim, car en historien, je privilégie plutôt les analyses basées sur les structures collectives plutôt que les destins individuels.