La Hague. Une nature sauvage, une mer à perte de vue. Une mer intraitable et souveraine qui prend des vies et ne les rend pas en dépit de l'attente incessante et de l'espoir inaltérable que nourrissent certains villageois de voir leurs proches enfin revenir... Tel est l'univers austère et fascinant dans lequel évoluent les personnages des Déferlantes.

La narratrice n'est pas née là. Elle s'est réfugiée à la Hague sur le tard, emportant avec elle le souvenir de son amour récemment défunt. Ayant saisi une opportunité professionnelle dans ce havre, elle y dénombre, recense et observe les habitudes des oiseaux du terroir.

En dehors de son emploi, cette femme seule se laisse vivre à défaut de se laisser mourir. Refusant obstinément de cesser de souffrir de la perte de son compagnon, elle vivote et semble ne pas se repaître de son désespoir...

"Je me suis collée par terre, les genoux remontés. Le dos au radiateur. Bientôt un an. Le temps passait sur toi. Lui aussi, il te rongeait. Je ne supportais plus ma peau. Ma peau sans tes mains. Mon corps sans ton poids. J'ai roulé mon pull contre mon ventre. J'en ai fait une boule. J'ai plaqué mon dos contre les rails brûlants du radiateur. Je sentais les marques. Les barreaux de ton lit, à la fin, pour que tu ne tombes pas.
Et cette autre marque sur ma joue, la boursoufflure rouge qui s'effaçait peu à peu. Ce vide de moi qui me faisait suer et gémir.
Et j'ai sué.
J'ai gémi aussi en grattant les ongles contre le mur. J'ai léché le sel pour me rapprocher de ta peau."

... Jusqu'à l'arrivée de Lambert, un homme torturé qui, comme d'autres, garde rancœur contre la mer : devenu orphelin après que sa famille ait fait naufrage, Lambert est revenu à la Hague pour vendre la maison de ses parents et percer les mystères que recèle encore leur disparition...

La narratrice va accompagner Lambert dans sa quête et mettre au jour les secrets de tout un village. Un village qui, contre toute attente, conserve de navrants souvenirs et se mure dans un silence épais depuis des décennies...

Les Déferlantes, c'est donc la vie d'une bourgade et de ses habitants. Il y a Lili, la tenancière du café et sa vieille mère ; Théo, le père de Lili, qui vit isolé au sommet du village ; Nan, une dame âgée, considérée comme folle à force d'attendre au bord de l'eau que lui reviennent ses morts...

"Les vagues avaient cédé. Le bord de la mer était recouvert d'une frange d'écume épaisse et jaune avec, un peu partout, des algues en paquets comme de longues chevelures qui auraient été vomies là.

La vieille Nan était sur la digue, les deux bras en croix sur le ventre, son crucifix à la main, elle faisait face au large. Elle portait son habit de tempête, une longue robe noire, un tissu épais, ceux qui la connaissaient disaient que l'on pouvait lire des mots cousus avec du fil noir. Des mots en fil. Et que ces mots racontaient son histoire.
L'histoire de Nan." (p. 25)

...et qui reconnait dans les traits de Lambert ceux d'un certain Michel ; il y a Raphaël le sculpteur et la oisive Morgane, frère et sœur jumeaux qui abritent la narratrice sous leur toit ; Max, un jeune homme un peu engourdi qui voue à Morgane une adoration intense, une gamine surnommée « La Cigogne », etc.

Autant de personnalités et de vies entremêlées dont on mesure mieux l'imbrication à mesure que progresse le récit... Petit à petit, l'écrivaine lève un coin du voile sur le passé de tous ces gens...

***

Sans pour autant que Claudie Gallay n'en fasse des descriptions interminables, la mer est omniprésente dans ce roman. L'atmosphère des lieux est ciselée sans relâche et avec tant d'acuité que l'envie m'a prise de me rendre à La Hague pour y contempler le paysage... Rien que pour le décor, Les Déferlantes me paraît être un livre très approprié pour une lecture à la plage, mais elle l'est aussi pour où que ce soit, par temps maussade.

Brillamment, l'auteure décrit l'univers des habitants de la Hague. Un monde de promiscuité qui induit une certaine indiscrétion comme dans certains voisinages. Et pourtant, bon nombre de personnages, dans le livre, sont taiseux et pétris de solitude...

Constitué de courts chapitres, de phrases concises, et de nombreux dialogues, ce bouquin respire... Il est léger. La fluidité narrative et le scénario proposé me rappellent la plume d'Anna Gavalda : Gallay tient le lecteur en haleine (pour autant qu'il se soit fait à son style saccadé, un peu abrupt) et fait dans le « page-turner » avec une dose mesurée de détresse et de neurasthénie...

Sans toutefois éprouver un plaisir ravageur à la lecture du roman, je ne peux nier avoir été prise au piège – c'était le but du jeu – : même en m'agaçant de certains défauts inhérents au roman, je n'ai pas lâché l'ouvrage avant de trouver un point final, ce qui confirme l'efficacité de l'écriture de Claudie Gallay. J'ai pourtant à reprocher à l'auteure une utilisation poussive du verbe « gueuler » et de l'adverbe « infiniment », qui m'ont systématiquement sauté aux yeux tout au long de ma lecture.

Peu amatrice d'histoires enveloppées d'un mystère dense et constant dont on voit l'issue aboutir trop lentement (c'est le cas ici), j'ai achevé ce livre comme un paquet de petits beurres : pas parce que c'est drôlement bon, mais parce que ça se mange facilement, et qu'il avait été entamé...
Reka
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le 10 janv. 2011

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