Ce roman est une fresque remarquable de l'Europe et de la Russie du XIX ème siècle, prémonitoire des dénouements géopolitiques qui ont suivi.
Les personnages sont si pittoresques au sens étymologique du terme et ce texte traite de tant de grands sujets parallèlement que la lecture des Démons est l'une des plus passionnantes de la littérature.
Il s'inscrit au décours d'un crime survenu en 1860 en Russie où a eu lieu l'un des premiers assassinats politiques (L'étudiant Ivanov fut assassiné par une petite société de conjuration menée par Netchaïev.). Plus qu'une fiction, ce roman véritablement prophétique annonce la révolution de 1917.
La raison pour laquelle les philosophes se sont intéressés à l'oeuvre de Dostoïevski est évidente: en plus d'écrire de grands romans, ses textes mettent en jeu des concepts philosophiques et religieux fondamentaux avec un brio incomparable. (Il est intéressant sur ce sujet de Lire Camus : Le Mythe de Sisyphe où l'on disserte de l'absurde et du suicide avec le personnage de Kirilov, Les Possédés qui est la transposition de cette oeuvre en pièce de théâtre et Les Justes. )
Entre autres sont traitées les questions de l'Absurde et du suicide, du bien et du mal, de la croyance et de l'athéisme, de la Russie rouge et de la Russie blanche, des sociétés de conjuration, de l'Amour dans sa plus belle expression et par dessus tout, comme souvent chez Dostoïevski, du repentir et du châtiment. Le nihilisme bien sûr habite le roman,ayant terrifié Dostoïevski toute sa vie.
Le rythme du roman, bien qu'il soit lent à s'engager (comme à son habitude, l'auteur décrit très précisément les différents protagonistes en commençant par une phrase du genre "je ne peux pas surseoir au portrait de tel personnage) mais passé ces présentations, la cadence des événements est élevée (plus que dans Les Frères Karamazov à mon sens).


Les personnages sont véritablement fascinants dans leur justesse : des plus vils, manipulateurs, lâches et dangereux aux plus élevés. C'est là une fresque sociale très réaliste dont la justesse est criante. Certains passages relèvent de la plus grande comédie et d'autres, sont ancrés dans la tragédie la plus sombre.
La rédaction de l'auteur est quasi-théâtrale avec des pseudo-didascalies au sein de chaque dialogue. Ce choix confère aux Démons un dynamisme rarement représenté dans ce genre de roman.


Camus déclare :



L'ébranlement que j'en ai reçu dure encore, après vingt autres années



Voir à ce sujet cette entrevue : https://youtu.be/6JCtY3CAlME avec Camus lui-même.


Pour finir j'ajouterai que Les Démons est aussi passionnant d'un point de vue de la sémiologie neurologique et psychiatrique : le trouble schizophréniforme de Stravoguine est excellemment bien décrit au début du roman. D'autre part, Dostoïevski lui-même épileptique décrit avec précision la sensation précédent une crise, cette impression de totalité et de révélation si parfaite qu'elle est insoutenable.


Bouleversant à tous les niveaux.

DogtorWoof
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le 11 avr. 2020

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DogtorWoof

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