La littérature de deuil est un espace désormais bien balisé chez les écrivains contemporains (Joan Didion, Jérôme Garcin, Olivia de Lamberterie, Clara Dupont-Monod, Justine Augier, récemment Clémentine Mélois…). C’est une gageure littéraire d’en écrire, et d’en rendre compte : l’émotion d’un deuil est évidemment indiscutable, hors du champ de la critique (ou même de la chronique, du compte-rendu de lecture…), et il faut essayer de voir comment l’auteur transforme l’intime en universel, comment une douleur indicible peut être, ou pas, partagée, mise en mots par la littérature. Et, indépendamment de son sujet (la mort accidentelle du petit frère de l’auteur pendant l’enfance), Les deux tilleuls est un très beau texte.
Francis Grembert offre un récit très pudique et digne, 60 ans après, de ce drame intime qui l’a habité toute sa vie. Dépourvu de tout pathos, il reconstitue par petites touches les sensations et sentiments de l’enfant qu’il était (7 ans, à l’époque), du grand frère à jamais privé de son petit compagnon (4 ans). Il offre au détour d’une phrase la définition la plus juste de l’enfance que j’aie lue :
Je lui raconterai que pendant cette mi-août empoisonnée j’ai reconstitué le début de notre histoire, elle n’est pas extraordinaire et pourtant elle ne ressemble à rien qui ait déjà existé. (p. 43)
Ses souvenirs sont ancrés dans une terre, la Flandre française, tout là-haut dans le Nord, dans la nature, et dans la ferme de ses parents (avec ses deux tilleuls, donc). Il les (d)écrit sans misérabilisme paysan, sans les héroïser non plus. L’émotion contenue dans ces 100 petites pages affleure par moments, comme par surprise. L’auteur imagine des bribes de la vie de son frère, raconte ce qu’il aimait, son caractère rêveur. Il n’y a rien de plus difficile que d’écrire des personnages d’enfant, de reconstituer leur psyché, et Francis Grembert y arrive avec une économie de moyens impressionnante, en nous épargnant clichés et phrases grandiloquentes sur la mort.
En haut de la tombe se dresse une croix où est inscrit : « François Grembert ». C’est incroyable, c’est la chose la plus fantastique au monde, bien plus que toutes les prouesses de Zorro et de Rintintin réunis. C’est la littérature à son point ultime. On lit un nom et un prénom. Ça veut dire la mort. (p. 62-63)
La question, une fois que l’on a écrit un livre pareil, c’est : qu’écrire ensuite ? On surveillera attentivement.