Les Effinger retrace la vie d'une famille juive berlinoise sur un siècle. Il ne s'agit pas d'un roman qui ne s'intéresserait qu'à la judéité : c'est une exploration de la façon dont le temps passe, à laquelle on nous donne accès, par la simplicité et la légèreté de la vie bourgeoise, avec ses hauts et ses bas. On y voit un Berlin qui n'existe plus, des repas de fêtes, des lumières, des ambiances, des meubles, ainsi qu'une vie fantasmée de la campagne du Sud de l'Allemagne dans le village fictif de Kragsheim.
Certaines ritournelles dans l'ouvrage marquent une espèce de cycle du temps qui nous montre que l'âge d'or n'existe pas, mais que la déliquescence et les crises si, et toujours un cran plus fort, de générations en générations.
Toute la fadeur et le calme de cette vie vole petit à petit en éclat, dans l'échec des idéaux libéraux, le fascisme grandissant. Sans aller dans des analyses de fond, Gabriele Tergit déploie avec finesse la façon dont l'échec de l'implantation socialiste en Allemagne a conduit à l'hybridation du national socialisme, terreaux des déçus. La fin de l'œuvre fait voler en éclat ce qui reste de la famille et de l'intimité, quand l'Histoire vient la serrer dans sa main implacable.
Moins puissant peut-être qu'un Buddenbrook, Tergit ajoute à la thématique du temps une certaine légèreté, un constat de la fatalité sans tomber dans le fatalisme, qui nous révèle combien l'intimité pousse à croire que les choses sont sous notre contrôle alors qu'elles nous échappent sans cesse... à plusieurs reprises, dans des intérieurs cossus, diverses guerres ou crises politiques sont envisagées comme impossibles et impensables... et les voilà à nos portes, inévitables... évidentes pour nous, dans nos intérieurs cossus, certains que cela ne pourra jamais recommencer... Un siècle en 900 pages, la vie comme elle va, vient et disparaît. Une belle expérience de lecture !