Plonger dans le roman de Gouzel Iakhina, c'est s'embarquer pour un voyage sur les eaux imprévisibles de la Volga. Tout comme les flots du fleuve, l'histoire nous emporte à un rythme très irrégulier, la plupart du temps lent, calme et contemplatif ; il nous demande cependant souvent de ramer avec énergie, et l’on se sent frustré de stagner autant. Parfois, le courant s'accélère et nous emporte avec lui, dans l'incompréhension, nous laissant voguer sans direction claire. Même si le roman nous récompense avec un thème intéressant et original, ainsi que des métaphores très poétiques, il est légitime de ressentir de la frustration après avoir suivi une errance narrative pour se retrouver face à une fin si abrupte.
Dans son roman, Gouzel Iakhina nous invite à suivre le destin des “Allemands de la Volga”, ces colons venus s’installer en Russie au XVIIIème siècle sous l’impulsion de l’impératrice Catherine II, désireuse de développer ces vastes terres inhabitées. L’histoire se déroule dans les années 1920 en Russie, années charnières qui sont le théâtre de nombreux bouleversements historiques.
Il est intéressant de découvrir les évolutions historiques de la région à travers la perspective originale d’un homme retiré du monde, Jakob Bach, qui ne comprend pas bien les évolutions auxquelles il assiste. L’autrice capture habilement la tension entre l’individu et la société, la volonté de se tenir à l’écart et l’impossibilité d’échapper à l’Histoire. En utilisant le langage naïf de cet homme isolé, l'autrice réussit à révéler les faits historiques de manière très subtile. Par exemple, pour Jakob, l'année 1918-1919 n'est pas celle d'une guerre civile, mais plutôt celle d'une "année de la folie", et 1928 devient "l'année du blé caché", sans jamais évoquer de front les réquisitions forcées. Malgré la violence crue des événements, cette barbarie est atténuée par la naïveté et l'innocence de Jakob, ainsi que sa volonté de ne pas vraiment comprendre ce qui est évident pour les autres.
Du roman se dégage une atmosphère poétique, presque fantastique, qui aurait pu être très agréable à lire si le récit n’était pas alourdi par des longueurs pesantes. Néanmoins, l'utilisation de la métaphore des contes de Bach, qui se réalisent aux premiers jours pour ensuite se transformer en cauchemar, offre une critique intéressante du conte soviétique.