J'ai lu Les enfants sont roi juste après Téléréalité de Bellanger, et je les ai trouvé assez intéressant à mettre en parallèle.
Là où Bellanger nous montrait comment la télévision française ne pouvait que finir par produire la télé-réalité, et comment cette fatalité allait façonner le paysage médiatique puis politique ; De vigan utilise une autre focale, plus individuelle.
Le livre se découpe en trois type de chapitre. Les premiers type de chapitre vont suivre Mélanie qui a découvert avec Loft story puis la télé-réalité son Graal, qu'elle n'a jamais pu atteindre personnellement, la poussant à essayer de l'atteindre au travers ses enfants en mettant en scène leur quotidien sur sa chaîne Youtube et son compte instagram ; jusqu'au jour où sa fille disparaît. L'enquête est confié à Clara, jeune policière occupant le poste de « procédurière », par qui doivent transiter tous les éléments de l'enquête. C'est son histoire à elle qui constitue le 2e type de chapitre. Le 3e type de chapitre étant les retranscriptions de PV de l'enquête.
L'alternance entre ces 3 points de vue (la froide objectivité des PV, l'incompréhension de Clara et ses questionnement sur sa propre vie, l'absolue conviction d'agir pour le bien de ses enfants de Mélanie) permet de maintenir un rythme addictif au roman (malgré quelques longueur dans les chapitres essayant de nous donner des clés de compréhension de la psyché des personnages). Le sujet est traité intelligemment, Mélanie n'étant pas présenté comme une demeuré ou une manipulatrice. On la voit comme une mère aimante, profondément persuadé qu'elle agit pour le bien de ses enfants. Cela permet de s'attacher à elle, de comprendre ce qu'elle cherche dans ce monde de followeurs et de like et de partage. Cela rend l'incompréhension de Clara (et la notre) d'autant plus dérangeante que l'on voit bien comment elle (et nous) participons activement à cette culture du like, de la photo instagrammable, du besoin de reconnaissance sur les réseaux sans le savoir ni le vouloir.
Cette femme n'était ni une victime ni un bourreau, elle appartenait à son époque. Une époque où il était normal d'être filmé avant même d'être né. Combien d'échographies étaient publiées chaque semaine sur Instagram ou Facebook? Combien de photos d'enfants, de famille, de selfies? Et si la vie privée n'était plus qu'un concept dépassé, périmé, ou pire, une illusion? Clara était bien placé pour le savoir. Nul besoin de se montrer pour être vu, suivi identifié, répertorié, archivé. la vidéosurveillance, la traçabilité des communications, des déplacements, des paiements, cette multitude d'empreintes numériques laissées partout avaient modifié notre rapport à l'image, à l'intime. A quoi bon se cacher puisque nous sommes si visibles, semblaient dire tous ces gens, et peut être avaient-ils raison?
J'ai trouvé que la dernière partie (qui sort de ces 3 types de chapitres justement) était dispensable. Soit parce qu'elle n'était pas assez développé (les thématiques d'ouverture sont très intéressantes mais peu creusées contrairement au début du roman) soit parce qu'elle ne l'était pas assez (quelques pages aurait pu suffire pour suggérer cette ouverture sans nous ouvrir l'appétit et nous laisser sur notre faim).
Il n'en reste pas moins un roman profond et complexe, une écriture agréable et fluide, des personnages très bien construit et nous offrant des points de vus contraires mais complémentaires, un rythme digne des meilleurs polars ; et surtout un traitement de ce phénomène de société que sont les enfants star / youtubeurs et surtout le rôle de leur parents là dedans. Et in fine le notre, qui en parlant (en bien ou en mal) de tout cela, alimentons cette grosse machine. Un roman nécessaire et intelligent que l'on ne pourra qu'aimer, commenter, et partager !