"Tant pis pour le lecteur paresseux, j'en veux d'autres !"

Qu'il plaise ou non, on ne peut nier le fait que ce roman réinvente les codes du genre, par la multiplicité des points de vue, la construction non linéaire, et la mise en abyme qui semble ne plus finir. Parallèlement à l'écriture du roman, Gide a tenu un journal qui a accompagné la gestation de cette construction complexe, déstructurée, inédite dans le genre romanesque, traduisant une volonté de rompre avec le réalisme balzacien et le naturalisme de Zola (que Gide critique grâce à son personnage-miroir, Édouard). Il n'y a pas une intrigue à proprement parler, mais diverses intrigues autour desquelles les personnages gravitent. J'ai aimé les situations racontées plusieurs fois sous divers angles de vues, puisque les choses n'existent, pour Gide, qu'à travers le regard de ses personnages. Il rompt avec toute forme d'objectivité, et refuse de tout polariser autour d'une seule intrigue (qui pour lui s'éloigne du véritable réalisme - prends ça dans tes dents Balzac : "je voudrais pourtant éviter ce qu'a d'artificiel une intrigue"). Il laisse agir ses personnages dans un milieu qui leur est propre, où les adolescents sont au premier plan, car "rien n'est plus difficile à observer qu'un être en formation", selon Édouard (le plus fascinant des personnages à mes yeux, même si je dois dire que j'ai du mal à choisir car Olivier et Bernard sont si attachants). Aussi, il y a manifestement la volonté de critiquer l'éducation, la famille, le mariage, l'hypocrisie bourgeoise, le puritanisme, la religion... Et que dire des thèmes abordés qui témoignent vraiment du caractère avant-gardiste de l'auteur, de son audace et sa liberté absolue, tant dans son œuvre que dans sa vie (d'où des éléments autobiographiques très récurrents). La deuxième lecture est une révélation, et s'appuyer sur le Journal des Faux-Monnayeurs est très éclairant au sujet des intentions de l'auteur, de sa conception du roman, et de sa difficulté à écrire, d'où le terme de gestation, qu'il a choisit lui-même. La formule de Gide ("Tant pis pour le lecteur paresseux, j'en veux d'autres"), prend alors tout son sens ! Je recommande vivement à ceux qui sont fâchés avec Gidou ou qui ont envie de découvrir quelque chose d'inédit !

evilwa
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le 11 mai 2018

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evilwa

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