Les femmes de Karantina, du nom d'un quartier d'Alexandrie, est une saga familiale sur trois générations, jusqu'en 2064 (?), pleine de violence, de coups fourrés et de règlements de compte radicaux. Le Chicago d'Al Capone, à côté de l'Alexandrie du XXIe siècle de Nael El-Toukhy, ressemble au pays des Bisounours ! Impossible de résumer l'intrigue, qui se renouvelle sans cesse et se termine par une symphonie héroïque, sanglante et tragique dans les tunnels de la ville. Ce qui fait d'abord le prix du roman, remarquablement traduit, c'est le regard de l'auteur, véritable metteur en scène de destins échevelés et de haines recuites, qui n'hésite pas à s'extraire du récit pour lancer quelques clins d'oeil complices au lecteur. El-Toukhy fait preuve d'un humour noir monstrueux et Les femmes de Karantina a tout d'un grand livre comique, imaginatif au possible, et rempli de personnages hauts en couleur. A vrai dire, avec ses dialogues très verts et caustiques, et ses punchlines dévastatrices, on se croirait presque chez Audiard ! Ce livre coloré et convulsif est marqué par le rôle important des femmes, un peu dans l'ombre au début du roman, puis de plus en plus dominatrices et pas moins cruelles que leurs compagnons mais plus subtiles, si l'on peut dire, dans l'exercice du pouvoir. Bien que se terminant en 2064, Les femmes de Karantina n'est absolument pas un roman de science-fiction, l'auteur se refusant à évoquer tout gadget futuriste. El-Toukhy appartient bien à la tradition des grands conteurs égyptiens mais avec une verve, une truculence et un sens de la torsion du langage époustouflants. Le bijou secret de la rentrée littéraire !