Pour son cinquième tome du cycle, Jordan s’est complètement perdu dans des travers qui pousseront encore certains lecteurs à abandonner. Loin d’être un tome inintéressant, Les Feux du Ciel est tout de même perclus de petits détails frustrants, à commencer par une sensation globale de surplace et un focus sur un nombre très restreint de personnages.
Dans ce tome, l’auteur a décidé de prendre son temps en détaillant à l’excès des personnalités en trop légère évolution, déjà connues et considérées comme assimilées par le lecteur. Ainsi, il est proposé durant plus de mille pages d’accompagner Rand dans ses doutes sur sa stabilité mentale et Nynaeve dans sa perte d’autorité qu’elle avait longtemps considérée comme acquise. Si les questionnements induits par ces personnages en pleine introspection et leur évolution significative rendent leurs segments respectifs assez captivants, il n’en reste pas moins qu’ils tendent à trop s’éterniser et à se répéter. A dire vrai, c’est surtout l’arc de Nynaeve qui peut s’avérer pénible tant elle sait se montrer égocentrée et agaçante, engoncée dans sa certitude que tout le monde est à ses pieds. Mais elle évolue peu à peu et se prend quelques jolis retours de flamme, ce qui ne manque de faire jubiler le lecteur. L’arc de Rand comporte le double avantage de nous présenter un peu plus Aviendha, l’Aielle de laquelle il sera difficile de ne pas tomber raide dingue et Asmodean, le Réprouvé dont on ignore les véritables intentions.
Au rayon des bonnes surprises, ce tome confirme une tendance du précédent : il est bien loin le temps où le personnage de Mat se montrait antipathique. Il gagne toujours un peu plus en profondeur et prend de plus en plus de place dans le déroulé des évènements. De même, le personnage de Siuan Sanche, qui a subi un traumatisme dans Un Lever de Ténèbres, s’étoffe un peu plus sans jamais devenir envahissant.
Mais en dépit de ces points forts, ce tome donne l’impression de beaucoup trop s’attarder et traîner. L’auteur aime son univers et certains rappels sont utiles. Mais il accumule les répétitions et situations ralentissant l’avancée (on s’attarde beaucoup trop longtemps dans le cirque itinérant avec Nynaeve et Elayne, par exemple). Au regard du pavé, le lecteur aurait aimé ressortir de cette longue plongée dans l’univers de l’auteur avec la certitude que tout cela en valait bien la peine. Il manque surtout un peu de dynamisme, l’ennui menaçant toujours de s’installer.
Heureusement, de nouveaux personnages ne manquent pas d’intervenir et de relancer l’intérêt, avec une mention spéciale pour Birgitte. De même, alors qu’ils n’intervenaient jamais vraiment de concert dans les précédents romans, les Réprouvés font une formidable percée dans celui-ci et se montrent enfin intelligents dans leurs approches.
Mais toutes ces menues critiques ne sont rien en comparaison de la réelle véritable frustration (attention gros spoiler) provenant du traitement réservé au personnage de Moiraine. Alors que les dernières pages lui administrent un sort peu enviable et potentiellement choquant, un regard en arrière nous fait regretter de l’avoir si peu vue. Les pages la concernant se comptent quasiment sur les doigts des mains. Si l’effet de surprise recherchés et la tristesse découlant de sa disparition font mouche, il est indéniable que le lecteur regrette de ne pas avoir eu un dernier roman s’axant plus spécifiquement sur elle et ses dernières tentatives pour sauver l’essentiel. Il s’agissait tout de même d’un personnage crucial.
Les Feux du Ciel constitue en réalité un roman qui fait office de tournant dans le cycle et il remplit très bien son rôle. En dépit de l’absence remarquée de Perrin et Faile, les aventures des compères de Deux Rivières n’en finissent plus d’étonner et les rapports entre toutes les forces en présence fluctuent en permanence, l’auteur se plaisant à les fracasser les unes contre les autres. Il est primordial toutefois qu’il redonne du souffle à son récit et cesse de s’attarder sur des segments qui ne le méritent pas.