Retour de lecture sur “Les filles au lion”, le second roman de Jessie Burton, paru en 2016 sous le titre original de “The muse”. Le premier roman de cette auteure britannique, “Miniaturiste” avait obtenu un très grand succès trois ans avant la parution de celui-ci. Dans ce premier roman qui se passe au XVIIe siècle, l'histoire est construite autour d’une maison de poupée que l’on peut réellement contempler au Rijksmuseum d’Amsterdam à côté de toiles de Vermeer ou Rembrandt. Dans le second roman c’est cette fois un tableau, totalement fictif, qui est au centre du récit. Il s’agit d’une huile sur toile de petit format, au motif étrange : « D’un côté, une fille tenant la tête sans corps d’une autre fille entre ses mains, et de l’autre, un lion, assis, hésitant à bondir sur cette proie. » avec les détails suivants: un décor pastoral jaune et vert, une couleur indigo du ciel, et la présence dans l’arrière-plan de « ce qui ressemblait à un petit château blanc ». Le roman commence en 1967 avec Odelle, la narratrice, une jeune femme de 26 ans, originaire de Trinité-et-Tobago, qui vend des chaussures depuis cinq ans et qui décroche un job dans une grande galerie d’art près de Piccadilly. Son rêve est de devenir écrivain, mais son manque de confiance en elle la bride. Lors d’une soirée apparait ce fameux tableau, qui serait l'œuvre d’un jeune artiste au talent immense dont la mort mystérieuse a semé le trouble dans le monde de l'art. Fascinée par ce tableau, elle essayera de reconstituer son histoire à travers une enquête complexe, pleine de secrets et de fausses-pistes, au cours de laquelle elle ne saura plus qui croire, ni à qui faire confiance, y compris sa charismatique et mystérieuse collègue Marjorie Quick. Le roman alterne en continu entre deux lieux et deux époques, entre le sud de l’Espagne, au début de la guerre civile en 1936, et donc Londres en 1967. Ce sont deux histoires qui évoluent en parallèle, et se rejoignent progressivement au cours du roman. Dans cette deuxième histoire qui se passe trente ans avant, en Andalousie, la jeune Olive Schloss, fille d’un marchand d’art en exil, aspire à devenir peintre mais sa famille s’y oppose. Elle fait la rencontre d’un artiste, un révolutionnaire, Isaac Robles, qui se présente en jour avec sa sœur dans leur propriété pour travailler chez eux. Une histoire d’amour et d’amitié liera ces 3 personnages et un marché aux conséquences dévastatrices sera conclu entre eux. C’est un roman particulièrement agréable à lire, avec une écriture très belle, fluide et chaleureuse, qui retranscrit parfaitement les sentiments de ses protagonistes. Les personnages de Jessie Burton sont tous très attachants, tout particulièrement les personnages féminins qui sont en quête d’émancipation dans des sociétés, qui dans les deux époques, étaient encore très patriarcales. Jessie Burton est particulièrement douée pour décrire les choses de manière très visuelle, que ce soient les décors, les scènes ou les gestes de ses personnages, cela participe beaucoup à la facilité d’immersion du lecteur dans cette histoire. Malgré un scénario qu’il faut bien avouer un peu alambiqué, la structure du roman reste cohérente. L’histoire est très intéressante et on ne s’ennuie jamais, on se laisse très facilement embarquer dans cette intrigue, qui se passe dans le monde de l’art et de la peinture, et qui aborde différents thèmes comme la passion amoureuse, le racisme ordinaire à travers le parcours d’Odelle, le féminisme. Un autre aspect très intéressant de ce roman est son côté historique, toute cette période du début de la guerre civile, avec cette famille de marchand d’art juif viennois, exilée en Espagne pour fuir la montée de l’antisémitisme, est très intéressante et très crédible. On pourrait juste reprocher à l’auteure de ne pas approfondir certains thèmes que soulève son récit sur la position de l’artiste, ses choix artistiques, ce qui le pousse et la manière dont il faut interpréter son œuvre. Mais cela reste globalement pour moi un roman très intéressant, de qualité, et très agréable à lire. Un bon moment de lecture.
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"Elle avait son nom gravé sur une plaque de cuivre fixée à sa porte. Je me suis demandé combien de femmes à Londres, en l'an 1967 après Jésus-Christ, possédaient leur propre bureau. Les femmes des classes populaires exerçaient des métiers ingrats, elles étaient infirmières, ouvrières dans des usines, vendeuses ou dactylographes comme moi, et ça depuis des dizaines d'années. Mais c'était tout un monde d'écart, un périple presque irréalisable, avant d'avoir votre nom gravé sur une porte."