Je l'ai découvert un peu par hasard ce bouquin. Y servait à caler la table basse de chez mon ex-copain. A l'époque Roméo y faisait les 3/8 et il était pas hyper jouasse lorsqu'y rentrait du boulot. Comme c'était une grosse victime à l'usine où y s'en allait brasser du vent chaque jour pour gratter son smic de prolo, y suintait la frustration par tous les pores de sa peau ce miskine. Et y fait quoi un mâle enfiotté et humilié qui a besoin de se rassurer sur sa virilité ? Je te le donne en mille : y me tapait sur la poire. Bon après faut dire qu'il avait un de ces physique de phasme aussi... du coup je la lui mettais comme y faut sa misère quand on faisait la bagarre, mais ces histoires elles se terminaient toujours pareil : avec une bonne vieille levrette claquée des familles, façon fifille qui a pas été sage. Un régal. Y m'assaisonnait bien correctement les fesses avec sa technique de la paume ancestrale. Allez. Retour. Allez. Retour. C'était bien les seules gifles que je l'autorisais à me donner à ce tocard, mais y les ajustait bien, je reconnais, et puis il avait surtout un avant-bras d'enfant caché sous son slip Batman, ça compensait pas mal. Bref.


Un soir, après avoir baissé la tête encore plus bas que d'habitude tout du long de sa journée d'esclave, ce saligaud il avait eu la lubie de m'inculquer la soumission au patriarcat cette fois-ci sur la fameuse table basse du début. Vous voyez, on y arrive tout doucement. Par contre, lui, c'était pas tout doucement du tout qu'y m'avait tartiné le nénuphar ce soir-là. Pirement qu'à l'accoutumée. Le gars y me tapait dans le fond depuis cinq bonnes minutes quand, d'un coup, BOUM ! la table basse a calanché. D’avoir dévulvé ça l'a pourtant pas empêché le moins du monde de se finir comme un grand (la main d'oeuvre ça le connaissais !) et de me la balancer copieux sa flopée de méduses diaphanes. En plein sur le fion. Quoi qu'il en soit, j'étais par terre, toute éparpillée, nappée de sa maigre considération bien visqueuse que j'étais. L'enfoiré m'a jeté sur le bout de la croupe la mèche de cheveux qui lui était restée dans la main de m'avoir trop tiré sur la crinière comme un sagouin. Le goudron et les plumes. "Tu m'as ouvert l'appétit avec tes conneries, je vais passer le filet-o-fish d'hier soir au micro-onde" qu'y m'a sorti. L'enculé. Et c'est là que je l'ai vu, parmi les décombres, ce foutu bouquin : Charles Baudelaire, Les fleurs du mal.


Au début j'ai rien compris. Que dalle. Le gars y me parlait de la sensualité des carcasses en décomposition, d'oiseaux des mers unijambistes, de pinard, des pétasses qui dandinent du cul dans les ruelles, des minous mignons tout plein... et encore je sais pas combien d’autres foutaises du genre. Pas vraiment ma came. Et puis, je sais pas pourquoi, j'ai continué à tourner les pages les jours qui ont suivi, et j'ai commencé à la capter la supercherie. Un sacré vicelard ce Baudelaire ! En vrai tu peux très bien les lire brut de décoffrage toutes ses élucubrations gnagnagnesques à Baudelaire, tous ses "Ouin Ouin le monde il est pas gentil avec moi ! Ouin Ouin je suis trop un artiste qui regarde le temps s'écouler tel un fleuve de souffrance dans mon cul !", mais l'essentiel, y reste occulte, sans que tu le devines même un peu. Sache-le.
Le matériau de base il est ce qu'il est, c'est-à-dire un truc à peu près aussi palpitant et intéressant que quand un caresse-couilles d'RSAiste te raconte ses journées ; y faut juste apprendre à zyeuter entre les lignes de temps en temps pour découvrir où le mec y veut réellement en venir.
La révélation je l’ai eu en lisant le poème Femme damnée. « Ô vierge, ô démon, ô monstre, ô martyre ». Pour la vierge on repassera hein ! Mais pour tout le reste c’est à moi qu’y jactait, à moi la raclure de trottoir, le trou vipérin, et à moi aussi la poupée gonflable de Roméo la sale petite lopette. La déchéance… Là le mec y m’avait touchée plus profond que n’importe lequel des eunuques d’avant lui. « Toi que dans ton enfer mon âme a poursuivie, pauvre sœur, je t’aime autant que je te plains, pour tes mornes douleurs, tes soifs inassouvies ». Alors ouais d’accord il est pompeux le Charles, ouais, y devait pas souvent attraper des volailles dans la basse-cour avec ses sensibleries lyriques à la « ainsi soit-il que je vous aime ma mie », mais si tu fais l’effort de le laisser dérouler sa litanie, tu vois qu’y t’a comprise comme t’aurais jamais osé l’espérer de ceux qui pissent fièrement debout contre un coin de mur alors que toi tu le fais depuis toujours à la sauvette accroupie entre deux voitures. C’est à ce moment précis que tu l’acceptes son invitation. Et c’est là aussi que la vérité elle te transperce et elle te crame les yeux pour la première fois lorsque tu n’es qu’une femelle de type cisgenre hétérosexuelle qui s’agenouille, se met à quatre pattes et dit merci. Et la vérité, la voici : Bute-les. Fume-les tous. Fais-leur payer.


Je me suis radinée subrepticement dans sa chambre un soir au Roméo. « Toi que dans ton enfer mon âme a poursuivie, pauvre sœur, je t’aime autant que je te plains, pour tes mornes douleurs, tes soifs inassouvies ». Je les avais encore dans la tête ces vers, y voulaient pas en sortir, y m’obsédaient ! « tes mornes douleurs, tes soifs inassouvies »… Tu vas voir si je vais pas les assouvir dans ta douleur mes pulsions tiens ! Y s’était endormi direct après qu’y m’avait secouée d’avant en arrière. Y pouvait pas s’y attendre au salopage en règle qui allait s’ensuivre ! Impossible avec la dose de novocaïne que je lui avais délayée dans son gin tonic à ce fantoche ; il allait pas pouvoir y faire grand-chose. Y ressemblait à un goret de banquet, sauf qu’à la place de la pomme c’était un bâillon-boule que je lui avais coincé entre ses chicots. Bien offert sur son plateau. Il a tout de même tressauté, un peu. Le froid de la lame sous la peau j'ai supposé. Va savoir ? Corps spongieux ma chatte oui ! C’est carrément moins dur à charcuter une éponge ! Pas besoin de la scier, elle ! Deux pleines minutes que je me suis acharnée. Enfin je l’ai laissé là se vider paisiblement. Bite coupée. Porte Claquée. « MERCI CHARLES ! », j’ai hurlé.


Depuis ça mon oeuvre je la poursuis en silence et chaque jour je lui redis merci à Baudelaire. Merci infiniment. Cimer chef, putain ! C’est lui qui me l’a rendue ma liberté. J’étais une femme damnée, il a fait de moi une femme comblée.

Irrumation
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le 13 juin 2017

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Marion Seclin

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