Du grand Arthur C. Clarke
Encore une narration à plusieurs voix, même si la deuxième partie du roman se concentre sur le personnage de l'ingénieur construisant son grand projet d'ascenseur spatial. Clarke maîtrise de bout en bout sa narration, avec une alternance très habile temps mort-temps faible, un suspense qui joue aussi avec ce que le lecteur pense anticiper. Les chapitres courts rendent l'ensemble très agréable à lire, et les cliffhangers ne sont pas trop appuyés.
C'est le Clarke hard-science que j'aime, bien plus convaincant que celui des suites de 2001. Une rêverie scientifique bien documentée, avec de l'action qui reste toujours de l'ordre du vraisemblable.
Avec des intuitions foudroyantes, comme ces "statuts" que l'on affiche pour donner des informations au fil de l'eau : oui en 1979, avant même internet, Clarke imaginait déjà le microblogging. De telles capacités d'anticipation coupent le souffle.
Le thème de la sonde extrasolaire venue de Proxima qui vient inspecter notre système fait un peu surajouté, mais crée des résonances particulières avec "Rama". L'épilogue, avec l'arrivée d'un Stellaire sur une Terre livrée à une glaciation, a quelque chose d'un peu décalé par rapport au reste du roman, mais je suis prêt à l'accepter comme une manifestation d'humour du maître.
L'action se passe en grande partie sur la Terre, et l'on retrouve ces personnages d'ingénieurs fondus d'astronomie qui rêvent de conquête spatiale. Tout le monde n'aimera pas Clarke, parce que sans être non plus inaccessible, il s'adresse à un public averti, déjà conquis par ces thèmes. Ceux pour qui la conquête spatiale n'évoquera rien risquent de s'ennuyer un peu. Le parallèle offert entre l'ascenseur spatial et le jardin de Kalidasa, usurpateur sri-lankais (pardon, taprobanais) qui utilise la gravité pour créer de magnifiques fontaines, est très évocateur et réussi.
J'étais étonné de la rapidité avec laquelle les moines et leur monastère installé sur le seul site possible pour l'ascenseur sont évacués du récit - pirouette religieuse qui n'est ni annoncée, ni expliquée.
Un autre petit bémol - j'ai trouvé aussi que la description de l'ascenseur spatial aurait pu être plus précise. Par moment, je ne visualisais pas bien les installations, ou le récit n'était pas aussi clair qu'il aurait pu l'être.
En tout cas, on voit où Robinson a pioché son idée d'ascenseur spatial sur Mars ("Mars la rouge"). Décidément, Clarke est un grand, un classique.