Il faut dire les choses : pour quiconque découvre Molière aujourd'hui, les codes de l'époque peuvent déconcerter, notamment l'obligation de terminer par un « happy end », donnant parfois des situations totalement forcées tout en obligeant le récit à des contorsions spectaculaires (je pense notamment à « L'Avare »). Ici, rien de tel : l'histoire est prenante, cohérente dans sa logique de comédie, oscillant étrangement mais avec beaucoup de réussite entre comédie à travers les situations, les dialogues, les caractères des personnages et un fond nettement plus sérieux, évoquant un mariage forcé ou des protagonistes que l'auteur, derrière le rire, n'a pas peur d'humilier.
Pour m'accompagner dans ma lecture, j'ai choisi une adaptation de la Comédie Française faite en 1998, avec deux acteurs ayant eu de nombreuses occasions de prouver leur talent par la suite : Philippe Torreton et Denis Podalydès. Un peu déconcertante, presque dramatique, la mise en scène de Jean-Louis Benoît surprend, prenant parfois une forme de gravité inattendue, notamment à travers le personnage de Scapin, rendu sombre, inquiétant par la prestation de Torreton, très loin de celle de Benjamin Lavernhe en 2020.
Peu de lumière (ou plutôt pas celle habituelle), mais un rythme soutenu pour une approche originale, n'empêchant pas un certain plaisir et plusieurs moments savoureux permis par les dialogues souvent alertes du grand homme. Il serait alors intéressant pour moi de comparer avec la dernière adaptation du Français, manifestement plus chaleureuse, bariolée : en attendant, notamment grâce à ce héros complexe, presque insaisissable, aussi canaille que séduisant, « Les Fourberies de Scapin » reste l'une des pièces maîtresses de son auteur, qu'il est important d'avoir lu/vu pour sa culture personnelle, mais pas seulement.