Le plaisir !

C'est le mot immédiat, puissant, évident, qui s'imposait à moi chaque fois que je me saisissais du ce (double) pavé du disert russe.
(Double pavé parce que j'ai découvert le chef-d'œuvre du maitre dans la version Babel, grâce à la traduction d'André Markowicz que d'aucun (en tout cas mon collègue du rayon litté) considèrent comme faisant référence)

Plaisir de l'esprit. Plaisir psychologique. Plaisir policier. Plaisir historique. Plaisir de toutes les formes que vous voudrez bien ajouter à une liste qui pourrait devenir rapidement proche de l'infini.

Un poncif admet volontiers qu'une des marques du génie est d'être terriblement en avance sur son temps, et par la même, de se montrer d'une étonnante modernité plusieurs années / décennies / siècles après son écriture.

Et ben on est pile poil dedans.

Il y a ici des considérations sur la justice, les mœurs, la société et tant d'autres sujets, qui se montrent d'une telle lucidité, d'une telle évidence, que cela parait encore plus hallucinant que tant de gens autour de nous, aujourd'hui, doivent être encore convaincus de la validité de telles idées.

Et puis, c'est surtout truffé de phrases, d'expressions qui vous emplissent l'âme d'une joie jubilatoire. Oh, chacun y trouvera les siennes, mais quand je lis moi des choses telles que "Certains de nos messieurs affirmaient que, tout cela, elle ne le faisait que par orgueil, mais, je ne sais pas, cette version ne prit pas : elle n'était même pas capable de prononcer un mot, remuez juste de loin en loin un peu les lèvres, et elle meuglait - vous parlez d'un orgueil..." ou encore "La salle dans laquelle attendait Mitia était immense, lugubre, une pièce qui vous tuait l'âme de tristesse" ou même "voilà la question qui se dressait devant lui, comme une espèce de monstre fantastique" sont autant d'exemples, mais vous trouverez bien les vôtres, du génie et d'une simplicité qui vous terrassent de volupté au fur-et-à-mesure de votre lecture.

Les deux plaidoiries sont des (vrais, absolus !) modèles du genre et doivent être lus par tout étudiant de droit qui se respecte.

Et puis, question citation, comment ne pas citer cet incroyable paragraphe visionnaire:
"Car le monde dit : « tu as des besoins, et donc satisfais-les, car tu as les mêmes droits que les hommes les plus riches et les plus notables. N'ai pas peur de les satisfaire, et même, fais les croître » -voici la doctrine actuelle du monde. C'est en cela qu'ils voient la liberté. Et quel est le résultat de ce droit a multiplier ses besoins ? Chez les plus riches, l'isolement et le suicide spirituel, et, chez les pauvres, la jalousie et le meurtre, car, les droits, certes, sont donnés, mais les moyens de satisfaire ces besoins, eux, on ne les indique pas encore. Ils assurent que, tout le monde évolue, plus il se réunit, plus il se forme en communauté fraternelle du fait qu'il raccourcit les distances, qu'il transmet les pensées par les airs. Hélas, ne croyez pas en pleine telle unanimité des hommes. En comprenant la liberté comme une multiplication et une satisfaction rapide de leurs besoins, ils déforment leur nature, car ils font mettre en eux une multitude de désirs absurdes et stupide, d'habitudes et de lubies des plus ineptes".

Pour finir, je ferai mon pisse-froid bien-pensant, parce que, hein ? bon. Je suis comme ça.
D'apprendre au cours de ma lecture que Fiodor (Dosto pour les intimes) fait lui aussi partie (je savais pas, que voulez-vous, je suis d'une inculture crasse) de ces indécrottables nationalistes réactionnaires antisémites de leur temps (ces multiples allusions aux "youpins") m'a un poil gâché la fête. Comme pour Céline, je n'arrive pas, du coup, à embrasser de tout mon être pensant et ressentant l'œuvre du monsieur.
Mais, comme pour ce qui est de sa religiosité profonde, rien ne transparait ici d'une façon ou d'une autre (au fond, le gamin socialiste m'a autant touché que le Tsarets Zossima) et c'est la encore une des marques du génie Dostoïevskien.

Il faut donc que je m'achète une nouvelle étagère. L'œuvre du maitre est foisonnante.
guyness
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le 20 oct. 2011

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guyness

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