Dostoïevski a tout connu de son temps; La gloire rapide qui brûle plus qu'elle ne dore, l'errance et le goulag, l'athéisme et la croyance. Lorsqu'il commence les Karamazov, Dostoievski est de retour dans son pays natal après 4 ans passé à l'étranger, 4 ans passés à analyser, réfléchir, observer autour de lui. Fort de ces expériences, l'auteur est animé par la volonté d'écrire une œuvre qui fera référence, une œuvre universelle, un tout.
Les Karamazov, c'est un prisme qui décompose l'homme de Dostoïevski, sa nature et sa philosophie. Le combat entre le Bien et le Mal, la tragique liberté et le libre arbitre....Tout est présent est bien plus encore; notre homme ne se contentant pas d'analyser, il nous fait vivre. Les Karamazov sont un exemple de narration. Je dois reconnaître que cette utilisation du "je", ces intrusions dans le récit, tout ça me laissa d'abord perplexe avant que je réalise que ces petites répliques étaient la charpente d'une cathédrale. Dostoïevski donne ici matière à réfléchir en terme de narration, n'hésitant pas à utiliser l'ellipse temporelle et à faire évoluer plusieurs personnages simultanément. Car oui, tous sont en mouvement et converge vers un seul but, terrible. Tout le long de l'oeuvre, un mouvement nous emporte, et j'aurai volontiers utilisé la métaphore de la vague, mais il s'avère que cette image est trop simpliste. Imaginez, un courant sauvage qui vous emporte, ne vous laisse pas atteindre la rive, vous lâché prise et vous laisser porter, espérant toucher terre à un moment ou à un autre. Voilà ce que nous procure l'écriture, une fascinante narration où s'entremêle allègrement le mensonge, la réalité, la vie et la mort. Car cette œuvre est très rude. Néanmoins, il ne s'agit pas d'une rudesse à la Zola, où l'on dépeint pour dépeindre , où l'on crache parce que l'ouvrier crache, où l'on décrit pour lutter contre l'ennui.
Les Russes sont des philosophes âpres dit Ivan Karamazov
Et dans toute leur misère, et jusqu'à la mort, ils philosophent. Ces sombres êtres, Dostoievski en fait des entités lumineuses à la portée universelle.
Je n'ai pas pu m'empêcher, j'ai pleuré sur les 20 dernières pages du livre. Oui, voilà un argument bien maigre, mais cette œuvre n'en pâtira pas....
Philosopher, c'est apprendre à mourir dit Socrate lors de son procès.
J'ai appris à philosopher avec les Karamazov. Et si la mort est présente dans l'oeuvre, même elle est appréhendée par Dostoïevski, qui n'oublie pas de livrer sa vision profonde et grave du nihilisme.
Théâtral et valsant, le monde des Karamazov est un scène, où les grande actes s'articulent autour de témoins et d'orateurs. Cet aspect propre à Dostoïevski ne plaît pas à tous, mais il a ici le mérite d'énerver, d'irriter, et finalement de faire se prêter au jeu le plus important mais réticent des acteurs. Il arrive même, dans mon cas, qu'il finisse par pleurer.