Lecture sciemment difficile. Adieu la simple fluidité de la Hordes, et Bienvenue chez les Furtifs. Chaque élément textuel est piégé, pour que le regard ou l’esprit bute, renâcle, rechigne. Un franglaispagnol, moucheté de langage vernaculaire clownesque, éclaboussé de dialectes nerdien, geekophile, Hackerman en diable. Novlangue ultraprésente, néologisme à foison, Pop-(sub)culture flashy, au paroxysme d’une Uncanny Valley littérarité. Les points se barrent en couille, les apostrophes se déportent de mot en mot, vivant leur meilleure vie, aux dépens de la nôtre. Des sigles et signes diacritiques se ramènent en bande, sans carton d’invitation, et gerbent sur la moquette. Les paragraphes s’enchaînent, et les locuteurs changent, confusément.
Tout y est idéalisation. Tous les activistes sont Beaux. Glorifiés. Magnifiés. Tous. Des principaux aux personnages tertiaires. Ils ont une Belle âme parce qu’ils sont libertaires. Ou ils sont libertaires parce qu’ils ont une Belle âme, je ne sais plus. Les deux, sans doute. C’est plus simple comme ça. En tout cas, ils sont Beaux, ça j’en suis sûr. Ils sont Beaux dans leur grandeur et dans leur erreur, Beaux jusqu’à l’écœurement. Tous parfait, à leur manière, à chaque fois unique et différente. Chacun détenant cette parcelle de vérité qui, étrangement, a échappé à tout le monde. Celle que la vie EST la lutte, le mouvement, le changement. A tel point qu’ils sont définis plus par leur combat que par leur essence, leur but, leurs convictions. Une Kontre Kulture, En Marche, sans vraiment de destination.
Tout y est idéalisation, donc tout y est fatalement manichéen. Le darkside ne sera pas épargné. Des petites bombes sont régulièrement lâchées. Comme ça, sans pression. Sans vraiment de fond non plus. La psychiatrie y prend pour son grade par exemple. Superficiellement. Gratuitement. En réponse à une vague culture new âge archétypale, animiste de mes couilles. Et toujours dans un fantasme de sérendipité, ce concept si fondamental, si essentiel, si pertinent, qu’il est de bon ton de défendre à 3h heures du mat, à moitié bourré avec ses potes. Toujours dans ce mélange d’auto-congratulation permanente et de vague mépris pour ceux qui n'adhèrent pas à cet ersatz de philosophie Carpe Diem mal dégrossi.
En lutte contre un monde, donc, qui parait être une projection caricaturale, dix ans dans le futur, de quelqu’un ayant 15 ans de retard. Un monde où l’algorithme d’Amazon ne vous propose pas pendant six mois des pubs de canapés après que vous ayez acheté le vôtre. Ni un monde où n’importe qui peut assigner une entreprise en justice parce qu’elle a gardé votre adresse e-mail. Ni un monde où les bloqueurs de pub sont tellement efficace qu’ils remettent en cause le modèle économique de toute la presse, et indirectement, vaguement, les fondements de nos démocraties. Un monde où la gamification des efforts quotidiens serait un problème existentiel pour trois connards de hipsters barbus fans de la quadrature du net, et pas une réponse possible au problème de surpoids touchant la moitié de notre putain de population ne voulant pas bouger leur gros cul plein de graisse.
Les Furtifs se place finalement en copie feignante de La Zone du Dehors et de La Horde du Contrevent. Il n’a malheureusement ni leur souffle originel, ni leur puissance symbolique, sans véritable absolu auquel se raccrocher. La chorale de personnages n’est pas maîtrisée. Sa philosophie vitaliste apparaît périmée. Le tout préférant les jeux de mots au fond, et les gimmicks aux idées neuves.
C’est un bouquin parlant tellement de first world problem de CSP+ addicts de leur smartphone que s’en est révoltant. Un problème de trentenaire vivant dans l'angoisse fondamentale que, finalement, tout le monde osef de leur vie ou de leur datas personnelles.
Comprenez-moi bien : ce n’est pas nul. C’est juste cringe et stérile.