Trépidation, impatience et fébrilité à la découverte du dernier et tant attendu pavé d'Alain Damasio, tout autant porteur de promesses que d'une nouvelle exigence d'implication du lecteur. Une question aussi: comment se renouveler et porter plus loin les concepts de La Horde du contrevent, chef d'oeuvre absolu, livre-monde par excellence?
A la lecture de l'ultime page des Furtifs, difficile de passer outre les défauts les plus évidents. Là où les longueurs de La Horde faisaient sens et donnaient lieu à une expérience de lecture totale, l'étirement de la trame de son successeur laisse plus perplexe et paraît souvent gratuite.
Moins universel dans ses thématiques, car bien plus marqué politiquement, les différents arcs développés peinent à convaincre.
Le propos politique d'abord, souvent utopiste, bien que pertinent sur ses diagnostics revêt un caractère un peu niais devant les descriptions de la société rêvée que sont les ZAG (Zone auto-gouvernée). Fruit plutôt de la tendresse personnelle de Damasio pour ces mouvements, le livre peut difficilement entraîner une adhésion d'un lecteur moins complaisant.
Même s'il reprend les codes qu'on lui connait, les nouvelles cabrioles sémantiques et calligraphiques de A. Damasio portent aussi en elles un zèle parfois caricatural qui nuit à la clarté des concepts exposés; rendant la lecture souvent laborieuse. Les jeux de mots, utilisés à l'excès, notamment avec la cellule du Cryphe, rendent certains passages trop lunaires, de purs exercices de style. Là aussi, le roman souffre de la comparaison avec son aîné. On peut penser à la joute verbale de Caracole à Alticcio, qui au delà des virtuosités verbales, soulevait aussi bien d'autres enjeux, rendant ce passage pivot inoubliable.
Pourtant, à bien des égards, les Furtifs séduit par sa complexité, et par la sincérité, la passion et la force de travail qui ont forcément permis à ce livre d'être finalisé 15 ans après La Horde.
N'atteignant pas le degré de sympathie qu'ont pu faire naître les hordiers, des personnages, comme Saskia, Agüero ou Lorca, touchent juste néanmoins et confirment la maestria de Damasio dans la création de vrais caractères via sa méthode de narration polyphonique.
Ici, la vraie réussite est le traitement des furtifs. Cette espèce, incarnation du vivant, qui crée et défait le monde dans les angles morts de cette société de l'hypersurveillance, reste LA belle idée du roman, évocatrice et riche de sens. Par son caractère poétique et sa dimension charnelle, par l'évocation de leur univers sonore, la description de ces créatures vibrantes de vie, frisonnantes, est une nouvelle belle pierre à la réflexion de Damasio sur sa notion de vif, cette essence vitale commune aux hordiers, aux furtifs et à leurs chasseurs.