Le bon peuple suédois et ses manigances

Pour une fois que Strindberg nous offre une bonne petite comédie, quasi familiale, en interrompant (presque) son discours antiféministe, ses lamentations sur la vie de couple, et ses tourments religieux, ne boudons surtout pas notre plaisir !


Plus que pour d’autres pièces, il nous faut pourtant considérer que le sujet de celle-ci prend place dans le cadre de la Suède de la fin du XIXe siècle. Si cet éloignement dans l’espace et dans le temps était dédaigné par le lecteur / spectateur, il risquerait de passer à côté de certains enjeux de cette œuvre. En effet, l’action se situe dans un milieu populaire de pêcheurs et de paysans, et nombreuses sont les références étonnantes ou pittoresques à la vie quotidienne, aux mœurs, aux mentalités propres à la Suède de cette époque.
Hemsö est supposé être un village de pêcheurs situé au sein de l’un des micro-archipels suédois. Mais vous aurez du mal à trouver ce nom-là exactement sur une île de Suède (on trouve un « Hemse » sur l’île de Gotland). En fait, sous ce nom, Strindberg met en scène l’île de Kymmendö, perdue au sein d’une poussière d’îles dans un archipel de la mer Baltique, au Sud-Est de Stockholm. Strindberg connaissait bien cette île pour y avoir séjourné dans sa jeunesse.
La trame de l’histoire, c’est l’arrivée d’un paysan, Carlsson, dans un village de pêcheurs à Hemsö. Il vient chercher à s’intégrer dans la petite société locale. Il est très travailleur, mais sa naïveté, sa méconnaissance du milieu où il arrive, et l’hostilité feutrée des pêcheurs qui voient débarquer cet inconnu ne vont pas faciliter la réalisation de cet objectif.
Sur un fond toujours populaire et drôle, Strinberg fait défiler devant nous une galerie de personnages affublés de tempéraments et de problématiques personnelles un peu caricaturés, mais suffisamment colorés pour que le spectateur s’y attache : Madame Flod, veuve propriétaire de terres, dont Carlsson convoite la main, et qui défend ce pauvre Carlsson contre les médisances de son entourage ; l’ Inspecteur (des douanes), constamment endetté auprès de tout le monde, toujours à la recherche de fantomatiques contrebandiers ; Madame Styv, mareyeuse qui juge beaucoup de choses selon le prix du poisson ; Rundqvist, valet de Madame Flod, un fainéant chronique constamment allongé sur un banc ; le colporteur, certes vendeur de bricoles, mais aussi concocteurs d’escroqueries financières et de magouilles foncières dont Carlsson sera dupe ; le pasteur, qui enquiquine ses paroissiens en leur faisant chanter des hymnes interminables à l’office ; Ida, le jolie fille du coin, sur laquelle tout le monde (jeunes et vieux) veut mettre la main, et plus si affinité...
La langue populaire et les réactions vives et colorées des personnages retiennent constamment l’attention, et les retournements de situations qui s’accumulent en fin de pièce apparentent celle-ci à une farce. Mais les caractères, bien dessinés et tenus jusqu’au bout avec fidélité, les critiques et ironies sous-jacentes contre les vices des uns et les manigances sournoises des autres permettent à cette œuvre de se hisser au niveau de la comédie de mœurs, amusante et sans grande arrière-pensée métaphysique. Les notations fréquentes sur les détails de la vie quotidienne ajoutent à la saveur du spectacle.
khorsabad
8
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le 9 févr. 2017

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