La fiche de ce livre sur SensCritique reflète assez bien le propos même du bouquin : ceux qui ont le plus voix au chapitre sont généralement ceux qui se disent le plus ostracisés par ce même chapitre. Allez donc voir si les bouquins de nos néo-réacs nationaux peuvent se targuer de n'avoir aucune critique de membre et moins de 10 notes... Evidemment, pour qu'on parle de vous, bandez-vous la bouche (c'est d'ailleurs la critique que je fais à la couverture des Historiens de garde chez Libertalia : srsly, un mec avec les yeux et la bouche bandés ?) et dites qu'on vous empêche de parler, tout le monde vous écoutera benoîtement.
Bref. Je ne rentrerai pas dans le débat sans fin qui opposerait les gauchistes universitaires sirotant leur rooibos se vantant d'être une caution historique incontournable, contre des réacs animaux médiatiques plus prompts à crier au meurtre qu'à ouvrir plus de deux bouquins. Vous imaginez ma position, je suis historien.
Il y a dans les Historiens de garde beaucoup de bonnes choses. Tout d'abord, c'est un livre qu'on n'a finalement que peu attaqué, alors même qu'il avait un propos bien plus politique que l'Histoire mondiale de la France de P. Boucheron. Les auteurs, William Blanc, universitaire engagé dans la vulgarisation non-réac, Christophe Naudin, enseignant en collège, et Aurore Chéry, docteure en histoire moderne, adressent des invectives ad hominem, et Lorànt Deutsch est la principale victime. Mais tout le monde en prend un peu pour son grade, vivants (Franck Ferrand, Dimitri Casali, Eric Zemmour) ou morts (Jacques Bainville, Alain Decaux).
Le noeud du problème tourne autour d'un sujet en transparence mais toujours présent: quelle est la méthode d'un historien ? Plus encore : quelle doit être la méthode de l'historien ? Les deux écoles se distinguent assez nettement : les historiens de garde seraient ceux qui piochent dans l'histoire les éléments qui leur paraissent le mieux "accréditer leur chapelle" pour reprendre une phrase (assez glaçante d'honnêteté je dois dire) de L. Deutsch et surtout servir leur vocation millénariste de revivification d'une identité française malmenée par des décennies de... d'élargissement des connaissances historiques ? Je ne peux pas le dire autrement tant cette critique me paraît absurde. De l'autre côté, les "zuniversitaires-enseignants-ayatollah" tout ce que vous voudrez, qui envisagent l'histoire à travers son matériau le plus efficace : les sources et surtout leur recontextualisation.
Bien, vous avez trahi mon parti pris. Mais je dois dire qu'il m'est trop difficile de préférer la fainéantise intellectuelle au service soit d'un fantasme eschatologique soit d'un marketing médiatique, à un exercice de polyvalence intellectuelle et de réflexion sur le long terme. C'est pourquoi ce livre arrive comme une bouffée d'air frais dans la nausée nationaliste qui affecte l'histoire et son enseignement depuis plusieurs années. Il détricote longuement les errements (restons polis) de L. Deutsch et ce qui apparaît bien souvent comme sa malhonnêteté intellectuelle, et il met en évidence les fils et les motivations de toute cette myriade de journalistes et autres éditorialistes prompts à faire de l'Histoire un instrument de leur ego complexé. On regrettera le survol un peu trop distrait des Ferrand et Bern, et une trame chronologique ne permettant pas d'analyser au mieux la manière dont un type comme L. Deutsch a pu avoir autant de popularité. L'Action Française apparaît toujours, mais à aucun moment elle ne prend réellement le micro pour donner tout son rôle dans cette histoire du néonationalisme historique.
Ma critique s'étend également à l'autre bout du spectre politique : hormis en conclusion, la gauche est relativement épargnée... Pourtant, la chaîne youtube Histony nous apprend longuement que les historiens de garde ne sont pas uniquement de droite. Henri Guillemin peut en faire partie, et des guignols comme Mélenchon ou l'intégralité des membres du gouvernement Hollande peuvent être associés à ce détournement de l'histoire à des fins utilitaristes. Ma connaissance s'arrête là, et j'espérais que les Historiens de garde puissent m'en apporter de nouvelles. C'est dommage.
Pour ceux qui auront la flemme d'acheter la bouquin et qui aimeraient un résumé, je vous écris in extenso la première page de conclusion, que j'ai trouvée très bonne et très synthétique de la pensée générale.
"L'histoire est un combat, ne serait-ce que parce qu'elle est attaquée
par un double phénomène qui relève à la fois d'un repli sur le roman
national à des fins identitaires et par des stratégies marketing dont
le but n'est ni plus ni moins que de transformer des citoyens libres
en consommateurs d'images d'Epinal. Il ne s'agit plus d'aiguiser
l'esprit critique, de susciter des découvertes puis des analyses, mais
de vendre une forme de bien-être nostalgique."
Voilà messieurs les réacs, vous êtes des artisans de l'ultralibéralisme tant honni. Heureux ?