Une société américaine malade de ses antagonismes de plus en plus radicalisés

Reconverti chauffeur Uber à Los Angeles après un licenciement, Brendan doit travailler au moins soixante-dix heures par semaine pour espérer à peine boucler les fins de mois. Un jour qu’il conduit une de ses clientes, Elise, professeur d’université à la retraite, à la clinique où l’attend une de ces femmes en détresse qu’elle aide à avorter, l’établissement est la cible d’un attentat perpétré par une organisation intégriste pro-vie, dont, en l’occurrence, font partie son épouse et son ami d’enfance devenu prêtre.


Dans la vie de Brendan, cet évènement fait figure de point de bascule irréversible. Lui qui, sans se poser de questions, s’était jusqu’ici toujours conformé aux attentes sociales, embrassant, en dépit de ses aspirations réelles, la carrière choisie pour lui par son père ; épousant, sans passion, une femme elle aussi idéale selon l’opinion paternelle, se réveille soudain d’un rêve américain devenu cauchemar. Comment a-t-il pu se retrouver prisonnier d’un système à ce point déshumanisé et asservissant, trimant misérablement à la merci d’une technologie numérique bâtie de façon orwellienne sur les seuls commentaires et dénonciations de ses utilisateurs ? Comment sa femme, au terme de déceptions et de souffrances accumulées, s’est-elle transformée en « version chrétienne des talibans », s’engageant fanatiquement dans cette nouvelle guerre de Sécession que, pour reprendre les termes de l’auteur, l’avortement est en train de déclencher aux Etats-Unis, médecins et cliniques se retrouvant au coeur d’une véritable lutte armée ?


Au travers de cet homme ordinaire et sans histoires, amené à s’interroger avec inquiétude sur la direction que prend son pays, Douglas Kennedy nous bombarde de questions d’une actualité brûlante. Affrontements autour de l’avortement, viol et violences faites aux femmes, mais aussi manipulation de l’opinion par des puissants à qui l’argent permet de se placer au-dessus des lois : cette histoire terriblement sombre dénonce une société américaine malade de ses antagonismes de plus en plus radicalisés, où « le moindre désaccord se règle à coups de revolver », où « le mâle blanc qui sent ses privilèges lui échapper ne reculera devant rien pour garder le pouvoir », et que « ces salopards » qui « ne se plient à aucune règle » et qui « piétinent les droits des femmes, les minorités, les immigrés, les personnes LGBT » transforment petit à petit « en république bananière entièrement contrôlée par une élite d’ultrariches. »

Et dans ce thriller haletant s’achevant dans un emballement rocambolesque, c’est cette peinture, vibrante d’impuissance, de colère et de désarroi, d’une Amérique rendue au bord de l’implosion par la violence et l’extrémisme d’oppositions radicalisées, qui donne tout son sel à cette lecture.


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

Cannetille
8
Écrit par

Créée

le 20 avr. 2023

Critique lue 85 fois

1 j'aime

Cannetille

Écrit par

Critique lue 85 fois

1

D'autres avis sur Les hommes ont peur de la lumière

Les hommes ont peur de la lumière
Cannetille
8

Une société américaine malade de ses antagonismes de plus en plus radicalisés

Reconverti chauffeur Uber à Los Angeles après un licenciement, Brendan doit travailler au moins soixante-dix heures par semaine pour espérer à peine boucler les fins de mois. Un jour qu’il conduit...

le 20 avr. 2023

1 j'aime

Les hommes ont peur de la lumière
Sorel
7

L'ombre et la lumière

Avant de commencer la lecture de l’avant-dernier livre de Douglas Kennedy, on m'avait prévenu : l'auteur tourne autour du pot, l'histoire met du temps à démarrer et dans le genre roman noir, on...

le 7 mars 2024

Du même critique

Veiller sur elle
Cannetille
9

Magnifique ode à la liberté sur fond d'Italie fasciste

En 1986, un vieil homme agonise dans une abbaye italienne. Il n’a jamais prononcé ses vœux, pourtant c’est là qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie, cloîtré pour rester auprès d’elle :...

le 14 sept. 2023

19 j'aime

6

Le Mage du Kremlin
Cannetille
10

Une lecture fascinante

Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans...

le 7 sept. 2022

18 j'aime

4

Tout le bleu du ciel
Cannetille
6

Un concentré d'émotions addictif

Emile n’est pas encore trentenaire, mais, atteint d’un Alzheimer précoce, il n’a plus que deux ans à vivre. Préférant fuir l’hôpital et l’étouffante sollicitude des siens, il décide de partir à...

le 20 mai 2020

17 j'aime

7