Les impatientes, Djaïli Amadou Amal, éd. Emmanuelle Collas
Trois récits de femmes peules. Nous sommes au Cameroun, chez les Peuls sédentarisés. Musulmans, pétris de tradition, qui vivent dans des concessions, entourées de très hauts murs qui empêchent de voir à l'intérieur : la maison du mari, une terrasse couverte (le hangar) où l'on reçoit et les maisonnées des épouses où les hommes ne pénètrent jamais. Chacune la sienne, chacune sa semaine, et une coépouse ne peut s'entretenir avec son mari, si ce n'est sa semaine, que par l'entremise de l'épouse « de tour ». Par tradition, par orgueil, par jalousie, par vanité, chacune attend sa semaine avec impatience. La famille est non loin, mais la femme, une fois mariée n'est pas autorisée à aller la voir ni à lui rendre la moindre visite sans l'autorisation de l'époux. Ce serait la transgression absolue, la honte sur la lignée. Pour la femme, le risque de la répudiation ; pour les enfants de la coupable, un avenir irrémédiablement compromis. Les mariages ne sont pas commandés par l'amour, ils sont arrangés comme le dicte le souci des relations sociales : « L'amour n'existe pas avant le mariage. On n'est pas chez les Blancs ici. Ni chez les Hindous. » « N'épouse pas qui tu aimes. Epouse celui qui t'aime si tu veux être heureuse ».
Avec simplicité, un réel talent de conteuse, sans faire la leçon à quiconque, l'autrice, Camerounaise, elle-même peule et musulmane, nous raconte trois tranches de vie des ces réclusions forcées.
Ramla, élève brillante au fort caractère, est amoureuse d'un jeune prétendant que son père lui promet avant de se raviser pour faire plaisir à un partenaire d'affaires qui a plus de trente ans qu'elle, et qui est déjà marié. Elle nous raconte l'annonce de la nouvelle, les recommandations de la famille, le rituel de la préparation au mariage, l'épilation, les bains, les onguents, l'odeur de bois d'acacia et de santal, les cadeaux qui précèdent, le marabout qui fait la leçon, les griots le spectacle, les mobylettes du bruit pour donner sa dimension à l'événement, les hommes fiers et les femmes, taisantes, « les yeux rougis » qui « revivent leur propre mariage ». Tout est dit.
Sa sœur Hindou, n'est amoureuse de personne, mais on la marie à un cousin alcoolique, drogué et violent. C'en est trop. Elle s'enfuit. La rumeur la retrouve, on la ramène et on la punit en la frappant, ainsi que sa mère dont on juge le silence complice. C'est terrible. Hindou accouche d'une petite fille et devient folle.
Le récit de Safira est d'une autre nature. Elle est la daada-saaré, la première épouse, qui a un statut à part, privilégié si l'on osait écrire. On lui annonce que son époux va prendre une co-épouse. Elle aime son mari et en crève de jalousie. Son récit est celui de la douleur et des stratagèmes qu'elle fomente dans une obstinée et cocasse vengeance par amour.
On se souvient de « Amkoullel l'enfant peul » du Malien Amadou Hampaté Bâ qui nous avait émus à l'époque sur la richesse des traditions orales de ce grand peuple africain. La force de celui de Djaïli Amadou Amal tient à sa solide franchise, au ton tranquille avec lequel elle nous dit les choses. Le propos n'est pas à l'indignation ni, au fond, au mépris des hommes. C'est la sèche condamnation d'un système. Mais une condamnation sans appel.
Ce livre figure sur la dernière liste du Prix Goncourt. Dans son pays et en Afrique, Djaïli Amadou Amal, déjà maintes fois récompensée, est une femme de premier plan, une Toni Morrison de la cause des femmes. Qui ne déteste ni l'Islam ni les Peuls. Une femme libre. C'est impressionnant.