Gabrielle a treize ans et doit se rendre à l’évidence : son arrière-grand-mère est bien morte et ne reviendra plus. Entre l’adolescente et la vieille femme dont les trajectoires, ascendante et descendante, ont cheminé un peu plus d’une décennie de concert, le lien a toujours été fort. Bébé prématuré à la survie incertaine, puis petite gymnaste douée en passe aujourd’hui de devenir femme, Gabrielle n’a jamais cessé de faire preuve d’un caractère bien trempé. Tout comme son aïeule, Maria, débarquée autrefois de l’Espagne franquiste avec pour seul bagage son inflexible volonté. Lorsque Maria rend son dernier souffle, c’est la vie de Gabrielle qui bascule.
Ouvert sur la mort de Maria, le récit reconstitue ensuite le parcours du combattant qu’a été dès le premier instant la vie de Gabrielle. Précipitée trois mois avant terme dans une existence à laquelle elle s’accroche contre toute attente, longtemps chétive malgré une pratique intensive de la gymnastique artistique, elle grandit au sein d’une famille rassemblant quatre générations avec son lot de rancunes et de frictions, dans une campagne présidée par une Ville Rose, où les hommes vénèrent le rugby et la chasse à la palombe, autant que les femmes la Vierge Marie de la Ville de la Grotte.
Encore et toujours, en délicats pointillés, se précise à travers Gabrielle la silhouette tutélaire de l’antique octogénaire, bientôt nonagénaire de plus en plus fragile, si touchante dans la simplicité sincère et impétueuse de son attachement pour son arrière-petite-fille. Sans doute a-t-elle reconnu la dureté de sa propre trajectoire dans le combat éperdu de la nouvelle-née pour sa vie, puis dans les efforts de la gamine pour compenser sa différence malingre. Entre ces deux-là, c’est une question de complicité et de solidarité à toute épreuve, commencée dès le premier âge de l’une, terminée dans les derniers jours de l’autre.
Alors l’émotion est immanquablement au rendez-vous, surtout lorsque la narration, menée par une voix dont on perçoit toute la tendresse en se demandant longtemps à qui elle peut bien appartenir, nous conduit enfin à comprendre ce que cache la conduite de plus en plus troublée de Gabrielle depuis la disparition de son aïeule. Car l’adolescente s’enfonce dans un malaise de plus en plus palpable, aux très curieux et inquiétants symptômes. Et l’on s’inquiète et s’interroge d’autant plus que dans le récit se glissent, de loin en loin, quelques saynètes de clowns s’évertuant à ramener le sourire sur le visage d’enfants malades et hospitalisés.
Et comme, pris par le coeur par les personnages autant que captivé par le fil du récit, le lecteur se retrouve aussi sous le charme d'une plume admirablement ciselée, c’est un très grand coup de coeur que lui réserve ce premier roman, révélateur d’un talent en tout point prometteur.
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