Difficile de se lancer dans Les Misérables, peut être le gros morceau du romantisme; pour ma part, deux livres de mille pages chacun, un sacré défi ! Mais un défi à accomplir au moins une fois pour tout bibliophile ou amoureux de la littérature.
Et le constat est que, après lecture de ce classique, qui est certes assez "abondant" en détails, voir plutôt longuet, voir...Bon d'accord, honnêtement, il y a des fois où ce livre est interminable ! Mais après avoir fini ce roman monumental, on se rend compte qu'il n'est pas long pour ce qu'il raconte, car non seulement il narre une histoire tragique et sublime, mais est aussi un témoignage dense et riche d'une partie de l'Histoire de notre pays.
Le livre nous conte donc les péripéties de Jean Valjean, ancien forçat, à qui personne ne tend la main à sa sortie du bagne hormis un homme d’église, Monseigneur Myriel, l'évêque de Digne, qui devient son mentor quand à la vie à adopter dans cette France pauvre et misérable du XIXème siècle. Valjean, devenu riche bien après, va donc passer son temps à aider les pauvres et les faibles, et va croiser dans sa sainte mission le chemin de Fantine, une mère prête à tout pour sa fille, Cosette, et celui des Thénardier, famille détestable, cupide et cruelle, puis évidemment le chemin de Javert, inspecteur de police, qui n'a qu'une envie, c'est de le renvoyer en prison.
S'il s'agit ici de l'intrigue de base, mais l'écrivain, connu pour l'étirement de ses romans jusqu'au paroxysme, ne s'arrête pas à cette histoire qui n'est que la toile de fond pour représenter la France de cette époque. Et voici que Hugo, digne chef de file du romantisme, disperse dans son fil narratif des apartés, chapitres entiers concernant les habitudes quotidiennes de Monseigneur Myriel, les barricades des révolutionnaires, l'origine du couvent du Petit Pictus (où vont se cacher deux de ses personnages durant le récit) ou encore la bataille de Waterloo (quitte à pondre un roman de cette envergure, autant y insérer des faits historiques majeurs pour ajouter au volume culturel). Ces "parenthèses" qui peuvent parfois dériver jusqu'au calvaire littéraire ambulant, sont le reflet d'un témoignage que l'auteur nous envoie en pleine face de la triste réalité du pays, et si elles sont parfois dures à lire et ont quelques fois apparemment pas de lien direct avec le reste du récit, elles enrichissent cette oeuvre monumentale et enrichissent par conséquent le lecteur.
Ses héros, Jean Valjean, Cosette, Marius, Gavroche, Javert et tous les autres, tout le monde les connaît, on les a étudié,au pire juste survolé à l'école, vu une ou plusieurs des adaptations cinématographiques qui les mets en scène, ces personnages font partie intégrante de la culture populaire francophone et même de la culture populaire tout court, ils sont incontournables. Mais cette popularité ne surestime pas l'oeuvre, car même un individu sauvage et insociable ayant habité dans une grotte au fin fond du Wyoming et attaquant Les Misérables pour la première fois sans base culturelle et sans connaître l'oeuvre avant de la lire fera le même constat que tout autre lecteur : les héros de l'oeuvre sont des personnages qui nous touchent. Que ce soit par leur aspect miséreux, leurs monologues sans fin empreints de véracité sur la plan social et humain, leurs actes parfois inconsidérés basés uniquement sur la bonté et l'amélioration du sort d'autrui, leur histoire et leur singularité au sein de la société, ces hommes et femmes nous touchent, nous émeuvent, nous bouleversent. Le passage où Jean Valjean se demande s'il doit se dénoncer auprès de Javert afin de sauver un innocent de la prison en est le parfait exemple. Le héros pèse le pour et le contre d'une telle décision à travers plusieurs pages de remise en question, car cela affecterait les pauvres et les miséreux pour qui il se démène, en particulier Fantine, dont il a promis d'aller chercher son enfant. Et comment ne pas s'offusquer d'effroi et de pitié pour la scène où Fantine vends ses propres dents pour subvenir aux besoins de sa fille ? Où comment ne pas éprouver ce qu'éprouve Cosette au sein de la famille Thénardier ? Comment ne pas ressentir d'émotion face à ses descriptions richement détaillées de la part de l'auteur de toute action de la part de ses personnages ?
Car ce roman transpire d'émotion. Là où un auteur aussi notable comme Jules Verne explore ses poissons et ses poulpes dans Vingt Mille Lieues sous les Mers ou l'espace dans De La Terre à la Lune afin de servir l'action, Hugo lui, explore ses propres personnages, leur humanité, leur bonté ou leur méchanceté. Il creuse au plus profond de ses héros, pour révéler leur compassion ou leur vilenies, pour servir au contraire l'émotion, et inciter le lecteur, non pas à s'émerveiller seulement devant l'opulence de son vocabulaire, mais aussi à être éblouis devant tant de richesse émotionnelle, et c'est une prouesse dans le registre littéraire, prouesse digne seulement des plus grands écrivains.
Et si Hugo est capable de nous faire ressentir une profonde empathie pour ses héros, que ce soit la malheureuse Fantine, le courageux et plein de bonté Jean Valjean ou la pauvre Cosette, il est aussi capable de nous faire enrager devant devant les sales tours de la famille Thénardier et de nous faire au contraire ressentir une profonde aversion pour ces personnages, veules et cupides à n'en plus finir. De même que pour Javert, ce personnage si obtus, froid, si fermé dans sa vision de la justice et sa conception de l'humanité, ne peut être que détestable.
Mais malgré la richesse des personnages qui peuvent se cantonner au simple divertissement littéraire, Hugo ne s'arrête pas à l'histoire, il s'intéresse aussi à "l'Histoire", avec un grand H ! De par ses héros, l'auteur pointe du doigt la situation si tragique de la France toute entière, il montre la misère, le malheur, les disparités, l'abandon, la tristesse, le sacrifice, enfin bref les belles valeurs du pays à l'époque quoi. Et le romancier, qui est aussi historien, philosophe et poète à ses heures, ne se contente pas de livrer une critique de la société, le pire, c'est qu'il le fait avec brio, de par son aisance dans l'art d'écrire, comme cité plus haut. Il donne sa voix au peuple. Hugo ne parle pas, il explique en omettant aucun détail, il ne cherche pas, il décortique, il trifouille dans la boue et la crasse, afin de montrer au grand jour ces misérables, montrer ce que font ces hommes que la société de l'époque ne laisse pas atteindre le bonheur, et alors que certains sont honnêtes et bons, n'ayant rien d'autre à offrir que leur humanité, d'autres deviennent cupides, haineux, et s'éloignent de la morale. Avec ce livre, Hugo livre la vérité, c'est la société qui donne naissance à ces monstres, c'est la société, qui avec pour armes l'ignorance et la faim, donnent vie à la violence, au crime, c'est la société et sa politique obscurantiste qui crée les enfants devenus orphelins, les criminels, voleurs, les prostituées. Car si ses personnages sont fictifs, ils n'en restent pas moins le grave reflet de la pauvreté et des malheureux qui y sont attachés au sein d'une époque ayant réellement eu lieu.
En plus de la dénonciation de cette débauche de pauvreté et de misère, Hugo s'acharne aussi sur la justice, normalement dernier rempart de la communauté contre tout ce qui peut représenter le chaos. A travers le personnage de Jean Valjean, qui est ridiculement envoyé au bagne pour un oui pour un non, et à travers celui de Javert, normalement droit et inflexible. Et de ces deux hommes que tout oppose, c'est celui qui est traqué par la justice qui se révèle être le meilleur, car Valjean n'hésite pas une seule seconde dès lors qu'il s'agit de Cosette, ou de son bonheur, il fonce, tel un protecteur bienveillant, un ange gardien, alors que l'inspecteur lui, ne voit que la logique de la justice, ou telle qu'elle est énoncée au XVIIIème siècle. Rien que le traitement du personnage est une critique acerbe de la justice de l'époque. Mais voilà qu'à un moment du récit, il se mets à douter, douter des propres lois qu'il tentait jusqu'alors de faire respecter, et là, la justice et ses défaillances déjà pointées du doigt de l'auteur s'ébranlent, comme si le système ne pouvait avoir de réelles bases solides.
Victor Hugo, par le biais de ce colossal roman, donne de l'espoir, donne une échappatoire, énonce le progrès. Il suffit de lire Le Dernier Jour d'un Condamné ou Claude Gueux pour voir que l'auteur est avant tout un visionnaire, qui remets d'équerre la vraie question de la valeur humaine, en se déclarant contre la peine de mort pour ne citer qu'un exemple. Mais avec Les Misérables, l'auteur a pondu une véritable fresque dans les bas fonds de notre beau pays, il a fait du fumier un véritable trésor, il a prouvé que le forçat peut devenir un homme bien et empli de générosité et de principes, et que la plus laide et insignifiante des fillettes peut devenir une femme respectable et gorgée de tendresse et d'altruisme. Comment ? Par l'amour et la compassion, par la bienveillance et le dévouement à autrui, des valeurs humaines. Cela fait peut être un peu "cliché" oui, mais ces valeurs sont loin des valeurs énoncées et critiquées dans le livre. Valeurs qui sont les piliers de notre société tels l'argent et la justice, facilement corrompues et décadentes, faillibles. Qui plus est brillamment écrit et fort d'une histoire bouleversante, le livre choc de Victor Hugo est un véritable témoignage de son temps, un roman comme on en fait plus actuellement, une oeuvre majestueuse et débordante de vérité et d'émotion. Et si l'on devait garder pour trace de l'humanité qu'un seul bouquin entre tous, je le dis en toute honnêteté, ce serait celui-ci.