Il est fréquent de diviser l’œuvre de Steinbeck en deux avec, d’un côté, un trio intouchable – Les Raisins de la Colère, Des Souris et des Hommes et À l’Est d’Eden – connu et reconnu auprès d’un large public de lecteurs et, de l’autre, ses écrits et récits considérés comme mineurs en comparaison des tauliers cités plus haut et qui mériteraient, pour la plus grande majorité, de se voir accorder une chance – en dépit de leur ambition moindre. Publié en 1947 aux Etats-Unis, Les Naufragés de l'autocar est de ceux-là.
Ici, au contraire des Raisins qui avait le grand projet de décrire la misère sociale inhérente à l’Amérique des années 1930 sous la forme d’une longue épopée, l’histoire se veut assez minimaliste, beaucoup plus légère. En effet, il n’est plus question de paysans miséreux chassés de leurs terres par des sociétés douteuses et sans morale mais d’un groupe de personnes en mal d’amour victime d’une panne d’autocar au cours d’un voyage et ce, au milieu de nulle part. Cette dernière va contraindre les concernés à sortir de leurs habitudes et dévoiler, peu à peu, leur personnalité et sentiments profonds à travers des faits et gestes – dans un contexte et une atmosphère s’apparentant à un huit-clos, où la cohabitation sera nécessaire.
L’adepte du « style Steinbeck » ne sera pas dépaysé et, comme souvent, l’auteur situe l’action dans sa Californie natale. Nous avons ainsi le droit à l’habituelle galerie de personnages loufoques, divers et variés – allant d’un jeune apprenti mécanicien glauque ravagé par l’acné à la bimbo par excellence faisant tourner la tête des « naufragés » masculins. Les longues et minutieuses descriptions des protagonistes – agrémentées d’un certain humour et d’une ironie piquante, sans concessions et surtout sans jugement – contribuent à ne pas laisser le lecteur indifférent vis-à-vis de leur situation et caractère ; on ne nous cache rien de leurs défauts, envies et manques qui vont, petit à petit, leur faire perdre la tête. De fait, il est tout à fait normal de se surprendre, au fil des pages, à ressentir de la compassion ou, au contraire, du mépris pour un de ces malheureux qui peine à aspirer aux perspectives désirées. C’est là tout le génie de l’écriture de Steinbeck : réussir à faire rire ou émouvoir le lecteur au détour d’une page et ensuite le déconcerter en usant d’une écriture plus sombre permettant de révéler toute la noirceur et les failles des personnages. Par ailleurs, cette volonté de précision et de finesse dans l’étude de la psychologie humaine se retrouve également dans la description de l’univers – le moindre détail de la vie quotidienne est relaté dans son entièreté, ce qui renforce davantage l’aspect vivant, le côté animé du récit ; qu’on imagine sans peine adapté au cinéma.
Inutile de chercher d’énormes prétentions à cette courte histoire qui constitue, néanmoins, une excellente porte d’entrée dans l’univers du ténor de la littérature américaine de cette époque - tout en gardant à l’esprit que la moins ambitieuse des œuvres de Steinbeck est supérieure à la grande majorité de ce qu’il se fait dans le genre.
Je suis sûre d'être le fruit d'une Immaculée Conception. Ma mère m'a plantée comme un oignon de tulipe avant les premières neiges et puis elle m'a recouverte de terreau, de sable et de crottin.