Prenez un chauffeur mexicain et la mégère qui lui sert de femme, ajoutez un couple bourgeois, une jeune fille étouffée par sa famille, un adolescent excité, un représentant en commerce, une serveuse qui rêve de Clark Gable, une pin-up et un vieillard moribond... Mettez-les dans un bus des années 1940, faites-leur sillonner un peu la Californie et imaginez que tout ce petit monde se retrouve bloqué sur une route boueuse au milieu de nulle part. La pluie tombe à verse et les secours se trouvent à des kilomètres de là. Que va-t-il se passer ? Les passagers pourraient essayer de s’entendre, organiser leur survie et pousser la chansonnette autour d’un feu. Mais Steinbeck préfère puiser dans sa connaissance de la nature humaine pour nous offrir un récit plus réaliste. Cet accident qui isole les voyageurs produit en quelque sorte un huis clos où les frustrations de chacun se révèlent. C’est ainsi que l’homme d’affaires en apparence irréprochable se transforme en tyran domestique, que la fille de bonne famille recherche l’aventure et que la rêveuse plaque tout pour tenter de vivre vraiment. Quant au chauffeur Juan Chicoy, l’autocar l’a conduit à un carrefour de sa vie: à cinquante ans, il peut encore décider de rompre ses attaches pour rentrer au pays, avant qu’il ne soit trop tard. Comme dans « Des souris et des hommes », les instincts ont ici une grande place. Et les pulsions des personnages sont encore exacerbées par la présence de Camille, une beauté sulfureuse que les hommes désirent et les femmes jalousent. Bref, tous les ingrédients d’un cocktail explosif sont réunis !
Ce roman est écrit avec une maîtrise exceptionnelle. L’univers de Steinbeck est non seulement vivant, mais aussi très visuel, de sorte qu’on a l’impression de regarder un film sur grand écran. La description de la station-service-restaurant tenue par le couple Chicoy nous plonge tout de suite dans l’ambiance, car Steinbeck a vraiment un don pour observer les détails du quotidien avec humour et finesse. Mais c’est surtout la psychologie des personnages qu’il approfondit ici, à l’appui d’une question toute simple : comment réagissent les membres d’un groupe humain en temps de crise ? Vous connaîtrez la réponse de Steinbeck en embarquant d'urgence dans son autocar, le « Bien-Aimé », à destination de San Juan.