La littérature russe peut parfois faire peur au premier abord. Difficile à aborder, sombre, froide, engagée, absconse, elle souffre de nombreux préjugés. Mais dès lors que l'on s'affaire avec le texte, bon nombre tombent ! Elle se révèle croustillante, grinçante ou encore loufoque. Mais ce qui détonne surtout avec Gogol, c'est son incroyable sens de la maîtrise romanesque : chaque ligne, chaque mot est dirigé d'une main experte, qui nous emmène là où elle veut. Tout est savamment calculé, rien n'est laissé au hasard, si bien que tout est matière à réflexion : questionnement sur la création, sur notre vision du monde, manifeste esthétique… Dans les Nouvelles de Pétersburg le style parfois lourd de Gogol s'efface pour ne laisser corps qu'à la matière romanesque.


Alors que le terme « nouvelles » peut laisser supposer un ensemble disparate de textes, nous avons bien sous les yeux un texte homogène ! Tout se centralise autour de Saint-Pétersbourg, le pôle contraire de Moscou. Si cette ville est volontiers décrite comme moderne, chaleureuse, dansante, Gogol nous la fait voir au travers de son prisme si caractéristique. Saint-Pétersbourg devient le prolongement du style de Gogol, un artefact de son art : tout est sombre, fantomatique, gris, inquiétant. La brume n'enveloppe plus la ville et l'existence, la ville même devient ce brouillard uniforme. La société russe n'échappe pas au regard acide de notre maître de la satire. Et qui dit société dit évidemment bureaucratie, caste qui est là encore décrite comme absurde, lente, immuable. Si tout ce monde ridicule semble engluer dans un morne quotidien, Gogol détourne ses personnages de leurs obsessions grâce au fantastique : un personnage qui perd son nez, un mort qui réussite pour se venger, un tableau maudit… On sent les liens avec le romantisme allemand bien présents. Et c'est tout sauf un hasard, car il y a dessous ces rires une volonté manifeste de parodie, de contre-pied romanesque. Un roman polyphonique qui met en lumière plusieurs interprétations possibles, mais où les différentes réflexions doivent se penser face à l'entier du récit.

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le 12 juin 2016

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