Ah, l'île de Mingher, "perle de la méditerranée orientale", elle a tant inspiré les peintres et les poètes ! N'écoutez pas les horribles matérialistes qui prétendent qu'elle n'existe que dans l'imagination d'Orhan Pamuk, ils ont évidemment raison, mais cette contrée fictive et paradisiaque est tellement vivante dans Les nuits de la peste qu'il suffit de se laisser porter par les mots du Prix Nobel turc pour la découvrir dans ses plus intimes fragrances. L'écrivain, non sans malice, a choisi une (fausse) historienne comme narratrice de l'année 1901 dans ce territoire de l'empire ottoman vacillant, soudain frappé par la peste. Nullement influencé par la pandémie du Covid, puisque le début de son écriture est antérieur, le roman est une fresque monumentale et détaillée d'une tragédie sanitaire qui embrase une communauté où cohabitent tant bien que mal musulmans et chrétiens. Le livre, qui est censé se baser sur les écrits d'une fille d'un sultan déchu, par ailleurs épouse d'un médecin dépêché sur place, peut être rattaché à de multiples genres : récit historique sur la déchéance de la Sublime Porte, "l'homme malade de l'Europe", roman policier placé sous l'aile de Sherlock Holmes, ouvrage politique dont on s'amusera à relever les réflexions on ne plus actuelles sur le nationalisme et l'exercice du pouvoir en temps de crise et même roman sentimental, avec plusieurs couples tendrement liés alors que la mort rôde. Ce livre-fleuve, qui abonde en digressions et décrit un nombre de personnages presque aussi élevé qu'un roman de Tolstoï (référence évidente) n'est pas exempt de quelques longueurs, notamment dans sa première partie, mais il peut s'agir aussi d'un léger coup de "moins bien" d'un lecteur assailli par une narration tellement féconde et généreuse. Quant à savoir démêler le vrai du faux dans cette épopée à la fois grandiose et dérisoire, comme le sont toutes les entreprises humaines, c'est tout bonnement mission impossible, et peu importe, car c'est un vrai plaisir que de suivre Pamuk, dans ses orientales et romanesques arabesques.

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le 17 mars 2022

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