A mon très humble avis, il y a énormément de façons de critiquer Les Nuits Fauves de Cyril Collard, et à très juste titre. Mais tous ces avis, souvent négatifs, peuvent se résumer à deux grandes critiques : la première sur le fond, la seconde sur la forme.
Sur le fond, on ne peut être que déçu à la lecture de ce roman, surtout si, comme moi, on s'est laissé aller à sa lecture en écoutant la musique de Fauve. Le groupe musical est puissant en ce qu'il décrit l'universalité présente dans chacun de ses auditeurs : leur faiblesse face au monde ; la puissance que l'on peut éprouver lorsqu'on est plein d'amour ; la petitesse face au monde qui grandit, va trop vite, presse les gens pour en récupérer jusqu'à leur dernière goute de vitalité ; le sentiment de n'être rien face à la violence de l'amour, de l'autre, de la sexualité... La détresse de l'humain face à une réalité sociale qui l'écrase finalement. On espère alors reconnaître tout cela dans l'oeuvre de Collard, au moins en ébauche, au moins en brouillon, comme en passant des élèves au maître, en passant de la musique au grand art de la littérature !
On ne retrouve rien de cela dans Les Nuits Fauves. Le roman est un roman personnel, irréductiblement personnel. Cyril Collard parle de lui et de lui seul. A croire qu'il n'a pas conscience, durant toute la durée du roman, que d'autres subjectivités que la sienne existent. Et pourtant ! Et pourtant le sujet du roman est riche d'expériences pouvant servir à universaliser le propos, à prendre de la hauteur, à essayer de toucher l'humain à travers sa petite personne : ce personnage de roman, bisexuel, atteint du sida, cocaïnomane, qui a 27 ans et tombe manifestement amoureux d'une mineure avant de ne plus la supporter et qui ne supporte sa vie qu'en étant détruit, violenté, humilié par d'autres hommes lors de ses "nuits fauves". Il y aurait tant à dire sur ce besoin de ne plus exister pour vivre ; de cet amour interdit ; de ces amours taboues car bisexuelles à une époque encore trop étriquée ; de ce corps qu'il veut oublier, faire disparaître, détruire, qu'il n'aime d'ailleurs que détruit... Il y aurait tant à dire sur cette sexualité marginale et cachée qui ne repose pourtant que sur le consentement ; il y aurait tant à interroger concernant la délimitation du bien et du mal, ou encore l'existence de la "perversité" face à la possibilité d'un ennui compréhensible au sein d'une vie sociale qui se comporte comme un destructeur d'excitation.
Au lieu de cela : rien. A croire que l'auteur n'a aucune conscience de la puissance du sujet qu'il aborde. Des mots crus à la pelle, sans intérêt. Quelques rares et belles métaphores sur la ville, et une suite de descriptions d'enchaînements d'actions monocordes et sans vie.
Et c'est peut-être là que la critique de la forme s'insère. Car, en plus, qu'est-ce que c'est chiant à lire... "Il a fait ci, donc j'ai dit ça. Alors j'ai fait ça. Donc il a dit ça." Bordel, c'est désincarné, sans vie, sans personnalité... Pourtant, une interrogation peut subsister.
N'est-ce pas voulu ? Nous l'avons dit, précisément, Cyril Collard veut détruire son corps : il veut s'effacer de la surface de la terre, il veut disparaître. Il n'aime son corps que lorsque celui-ci est en souffrance, en destruction, lorsqu'il est légitime d'espérer qu'il meure. Il voit la maladie le ronger, il voit la société le renflouer, il voit son corps devenir un piège pour ceux qu'il aime, et il n'aime qu'une chose : que son corps souffre. Peut-être est-ce alors là la clé de cette narration désincarnée. Un narrateur qui accomplit le fantasme du personnage : sa disparition. Cyril Collard qui s'efface dans son romain, qui n'est enfin plus qu'une conscience analysant ce qu'un corps qui n'est plus le sien, et évoquant ce que les autres font. Et alors si c'est cela, ce serait très bien réalisé je trouve.
Mais je surinterprète peut-être complètement.