On vocifère à longueur de gazettes, et à grand renfort de publicité, sur ces auteurs, qui, en guise de cache-misère pour leur plume défaillante, se "créent un monde bien à eux". L'expression, employée à tort et à travers, et qui heurte les yeux dans nombre de critiques, semble être le sésame d'un bon ton littéraire. On se demande quel superlatif l'on devrait inventer, en suivant cette politique, pour définir l'œuvre de Boulgakov. Car, tout au long de ses différents écrits, l'écrivain, tisse, au beau métier de son style si particulier, une étoffe de fort belle facture, liant concret de textes assez différents en apparence.

Car, dans la nouvelle présente, le brillant Mikhail délaisse les entrailles de la bureaucratie communiste pour grimper dans les hauteurs céphaliques du régime. Il nous présente donc le savant Persikov, éminence grise en zoologie. Ce savant un peu fou n'est pas sans présenter quelques points de ressemblance avec son créateur, la moindre n'étant pas sa traversée du désert durant les temps âpres du communisme de guerre. Ce laborantin persévérant, expert ès batraciens, met un jour au point, par un hasard fortuit, un rayon rouge capable de prodigieusement accélérer la reproduction des amphibiens qui lui servent de matériel expérimental, en sus de leur accorder une taille prodigieuse.

Bien entendu, cette prodigieuse découverte ne sera pas utilisée pour le mieux. Un apparatchik oisif et un peu limité l'utilisera pour redorer un blason s'étiolant un peu dans l'ennui de sa sinécure moscovite. Un ponte soviétique bien nommé, puisque "Rokk" vient tout droit de "Rok", le Destin russe.

Le talent de Boulgakov n'a pas besoin qu'on lui ajoute des qualités de prophète, mais il est amusant (pour peu que l'on ait le goût de ces choses) de comparer les effets de "l'invasion" reptilienne apocalyptique et ceux de la bombe atomique. Ou bien, du désastre de Chernobyl, ironiquement situé dans la terre natale du grand conteur. Après tout cette nouvelle ne veut-elle pas d'anticipation ? Une légère prolepse, qui permet de situer l'action dans un Moscou utopique, débarrassé de ses derniers reliquats de misère consécutifs à la Guerre Civile. Une ville fortement marquée par les propres ressentis de Boulgakov. La topographie colle en effet d'assez près, du moins ce qu'il nous en présente, à son quartier, aux lieux qui lui sont familiers.

Pour autant, il ne faudrait pas croire que tout va pour le mieux dans la meilleure des républiques socialistes soviétiques. Outre la gabegie de l'administration, cheval de bataille récurrent, la presse, aux ordres, et peuplés d'ignares assoiffés de sensationnalisme à peu de frais. Boulgakov connaît bien le milieu lui qui participa à plusieurs revues.
Autre point noir (si l'on peut dire ...), le rouge qui envahit tout. Il y a ce rayon sanguin bien sûr, mais plus généralement, tout comité, tout organe de presse ... La propagande soviétique trace sa voie, dans le sillage de l'omniprésente police politique, et c'est peut être là le serpent le plus insidieux contre lequel Boulgakov veut nous mettre en garde.

Intéressant aussi de voir ce motif de l'œuf qui se répète dans ces nouvelles du début des années 20. Dans "Endiablade" les frères Kalsoner avaient littéralement des crânes d'œuf ! Ici, le trait est encore plus littéral. Là encore, on peut percevoir les inquiétudes (justifiées) de l'écrivain quand au futur, et la menace totalitaire qui plane maintenant à la place de l'aigle bicéphale.

Il y a énormément à dire : sur le sens du détail, la verve virulente et drôle d'un auteur décidément atypique. Qui, tout en donnant l'impression d'une aisance incroyable, aborde une vaste variété de sujets complexes. Et douloureux.
Pedro_Kantor
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le 8 mai 2011

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Pedro_Kantor

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