L’Idiot vivait seul, rejeté par tous, fuyant les hommes qui le méprisaient. C’est alors que la rencontre avec un groupe d’enfants aux dons étranges va bouleverser sa vie : Janie, qui déplace les objets avec son esprit ; Beany et Bonnie, les jumelles qui disparaissent et apparaissent à volonté ; et Bébé, l’enfant mongolien au génie prodigieux.
Ils vont bientôt former une famille, autour de l’Idiot qui, pour la première fois, fait connaissance avec l’affection humaine. Peu à peu une unité d’un ordre supérieur, plus qu’humain, va s’établir entre les divers membres de ce groupe. Bébé en sera le cerveau, Beany et Bonnie les membres, Janie le cœur, et l’Idiot la conscience. (1)
Un thème bien précis relie nettement les trois novellas (2) qui composent ce roman : la solitude. Celle de l’être à part qui, de par sa différence même, s’attire incompréhension, puis peur, et enfin haine de la part de ses semblables. Isolé par l’ignorance, il porte ce qui fait de lui un surhumain – faute d’un meilleur terme – comme un fardeau jusqu’à ce qu’il trouve d’autres comme lui ou presque avec lesquels s’unir pour devenir une entité supérieure – un « être optimum » pour utiliser le terme précis que préférait Theodore Sturgeon (1918-1985) lui-même à celui de surhomme. Mais il reste encore à ce « plus qu’humain » fruit de l’union de ces êtres hors du commun à apprendre à vivre avec ceux qui le composent.
Ouvrage majeur d’un auteur majeur, Les Plus qu’humains se distingue radicalement de n’importe quel autre récit présentant des individus jugés monstrueux, et donc moins qu’humains en raison même de ces pouvoirs qui les rendent pourtant plus qu’humains, dans le sens où il propose une réflexion de fond sur ce qui rend une société possible. Car, bien sûr, cet « être optimum » composite constitue bel et bien une micro-société : il forme un groupe d’individus distincts qui doivent vivre ensemble pour le meilleur et surtout pour le pire. Dans ce sens, l’idée que l’auteur présente dans le dernier récit de cet ensemble pourrait très bien concerner n’importe quel autre type de société – y compris celle des gens « normaux » : la nôtre, donc.
À travers cette fable, au sens du terme désignant un récit dont on peut retenir une leçon fondamentale, Sturgeon remplit ce qu’il considère comme le rôle de l’écrivain : celui qui use de sa capacité à retenir l’attention d’une audience pour instiller à celle-ci une réflexion capable de modifier sa perception des choses, de bouleverser ses idées préconçues (3) – bref, de changer sa vie, ou du moins de participer à son évolution sur le plan mental. Certains diront qu’il n’était peut-être pas nécessaire d’en écrire autant pour en dire si peu, arguant de la forme parfois un peu difficile du texte ; d’autres comprendront qu’il faut savoir prendre le temps d’expliquer en détails les choses importantes pour que le message passe bien.
Second et dernier roman de Sturgeon, après Cristal qui songe (1950), une autre œuvre majeure du genre, Les Plus qu’humains compte toujours plus d’un demi-siècle après parmi ces ouvrages indispensables et au charme à nul autre pareil sans lequel une vie de lecteur de science-fiction n’en est pas vraiment une.
Et peut-être même une vie de lecteur tout court.
(1) ce quatrième de couverture est celui d’une édition précédente de l’ouvrage.
(2) texte dont la longueur en fait un intermédiaire entre la nouvelle et le roman.
(3) Marianne Leconte, préface à Le Livre d’or de la science-fiction : Theodore Sturgeon (Pocket, collection Le Livre d’or de la science-fiction n° 5013, 1er trimestre 1978, ISBN : 2-266-00455-7) ; lire ce texte en ligne.
Récompense :
Prix International Fantasy, catégorie fiction, en 1954.