Patience, patience, intimait Nabe à ses lecteurs, comme à ses détracteurs. Patience, et vous verrez. L'auteur avait annoncé à grands fracas la publication d'un livre sur Soral, Dieudonné et les conspis depuis déjà plusieurs années.
Aujourd'hui la patience est enfin récompensée : le livre est là.
Les Porcs, tome 1. 50 euros. 1000 pages.
Les Porcs forment un roman, un roman qu'on pourrait qualifier de comique, documenté, incisif, précis, tranchant, raciste, cruel, véridique, lumineux, long, mégalomaniaque, agaçant, tordant, captivant...mais c'est surtout un roman nabien, c'est-à-dire un roman où tout est vrai.
Puisque la vérité est déjà romanesque en elle-même, le travail de l'écrivain aujourd'hui, selon Nabe, n'est plus d'y rajouter de la fiction supplémentaire, mais de la retranscrire, directement en littérature. Prendre les faits tels quels, les personnages vivants, et les décrire aussi précisément que possible. Ce travail, Nabe l'avait déjà entrepris dans son journal, dans ses articles, dans ses essais, dans ses romans sur l'actualité, dans autant de genres que l'on retrouve presque tous condensés dans les Porcs.
Ce livre tient en effet du journal intime, puisqu'on y retrouve la vie de Nabe, presque au jour au jour, pendant presque 10 ans, durant toutes les années 2000. Il y raconte les dessous des émissions de télé auxquelles il a participé, les roueries d'Ardisson, les maladresses de Taddéi, et puis sa rencontre avec Soral, Salim Laibi, Yann Moix, il analyse chaque spectacle de Dieudonné, chaque scandale médiatique. Les portraits sont nets, justes et implacables.
Ce livre tient aussi de l'essai sur l'actualité également, puisque tous les grands évènements qui ont marqué la décennie y sont commentés, qu'il s'agisse des conséquences de la guerre en Irak, des tensions avec l'Iran, de l'élection de Nicolas Sarkozy ou même du coup de boule de Zidane à Matterazzi, tout ce à quoi nous avons assistés durent les années 2000 est là, et tandis que nous vivions tous ces évènements presque en vrac, Nabe, avec plus de recul, les remet en place devant nous et en montre la cohérence profonde.
Ce livre tient enfin du roman, puisque tous ces évènements semblent alors s'enchaîner d'une manière dramatique, la tension monte au fil des pages et tous les personnages semblent entraînés par leur destin, comme dans une tragédie. On voit en effet toute une galerie de personnages emportés par leur propre folie, emportés par le complotisme qui gagne les esprits, comme une lèpre, tandis que le narrateur cherche en vain à lui faire barrage.
L'actualité, telle qu'elle est vécue par ces personnages, devient alors aussi haletante qu'un roman noir.
Car le fil rouge de ce roman, c'est bien ce complotisme, cette façon de simplifier la réalité jusqu'à nier tout ce qu'il y a de complexe en elle, d'hasardeux, de chaotique, c'est-à-dire de véridique. "La réalité est rugueuse à étreindre" écrivait Rimbaud. Les conspis préfèrent donc la déformer pour la faire entrer, de force, dans l'étroitesse de leurs thèses politique. Nabe, lui, préfère se confronter directement à cette rugosité et ce livre est le fruit ce cette étreinte.
Il s'agit donc donc bien plus que d'un simple pamphlet contre Soral et Dieudonné, comme on peut le lire dans la presse paresseuse, il s'agit d'un roman total qui charrie avec lui toute son époque, qui transpose tout ce qui s'est passé au cours des années 2000, non seulement dans la vie de Nabe et de son entourage, mais aussi dans le monde, dans les faits et dans les esprits. Qui veut comprendre cette époque, en connaître les dessous et en saisir la vérité par la littérature, doit nécessairement en passer par les Porcs.