Le premier chapitre, description par le menu d'un mariage, est époustouflant. Les privilèges, de Jonathan Dee, commence fort : plume ironique, talent d'observation rare, galerie de personnages plus ou moins déjantés, humour acerbe ... Le dernier chapitre, une trentaine d'années plus tard, est décevant. Au fil des pages, l'auteur a dressé une barrière autour de ses personnages, Cynthia, Adam, et leurs deux enfants, les cloisonnant dans leur monde de super-riches, empêchant toute empathie et nous les rendant quasi abstraits, caricatures d'êtres humains. Entre temps, les deux autres segments du roman, chacun conçu comme une photographie ponctuelle de l'état de leur vie, décrit un couple amoureux, lui ne pensant qu'à "faire" de l'argent, elle se consacrant à des oeuvres de charité et veillant sur sa petite famille. En gros, c'est l'histoire de deux êtres beaux et intelligents qui se marièrent et eurent beaucoup d'argent. Jonathan Dee, contrairement à ce que l'on pourrait attendre (espérer ?) ne se livre pas à un jeu de massacre, il se contente de raconter leur existence avec des mots glacés en guise de microscope, et en s'abstenant de juger. Pas d'adultère en vue, quelques frasques des enfants pour une rébellion timide, mais la famille reste unie, à croire que l'argent fait le bonheur. Le leur, en tous cas. Le roman est brillant, mais guère "aimable" sur le fond, ne se départissant jamais d'une froideur cynique, posture tenue de bout en bout, au risque de passer pour un exercice de style.