L’anthologie de nouvelles de Maupassant compilées par la collection Folio classique constitue une très bonne session de rattrapage pour des lecteurs à qui auraient échappé l’un ou l’autre de ces petits récits qui sont autant de pièces maîtresses de la période naturaliste de l’auteur. Tirées de divers recueils, ces œuvres de taille variable tournent toutes autour du thème de la prostitution. Mais, arrivé au bout de la lecture, on se dit que le recueil, qui s’intitule Les Prostituées, aurait pu tout aussi bien s’appeler Les Soldats, tant le thème de la vie militaire y est omniprésent. Maupassant est un des auteurs de son temps qui a su le mieux peindre, en petits tableaux périphériques, loin des grandes batailles, ce que put être la guerre de 1870 du côté français. Une guerre qui réapparaît sans cesse autour de thèmes qui sont des classiques du genre naturaliste : l’arrière-front, la collaboration, la veulerie des bourgeois à l’égard des vainqueurs, l’attitude ambivalente de ces derniers, les rapports entre conquête militaire et conquête du corps des femmes.
Mêlant noirceur sociale et volonté littéraire d’édification, mais toujours sans complaisance ni facilité, Maupassant nous conte le dilemme de ces prostituées « prenant leur parti des hommes comme des choses », livrées aux Prussiens avant une révolte désespérée en vertu d’un sens de l’honneur que personne ne semble vouloir leur accorder. Il nous présente les virées nocturnes des marins dans les bordels marseillais, les maîtresses d’officiers menant grande vie à Rouen, le drame des filles-mères, les ravages de la syphilis. Et parfois, comme dans La Maison Tellier, un instant de grâce au détour d’une phrase inattendue : « Et jusqu’au jour, la communiante reposa son front sur le sein nu de la prostituée. »
Pièce maîtresse de cette réédition, la sublime Boule de Suif, publiée originellement dans le recueil collectif des Soirées de Sedan, mérite assurément d’être reconnue comme une des meilleures nouvelles du XIXème siècle français. Ce drame véritablement poignant dans lequel « l’amour légal le prend toujours de haut avec son libre confrère » nous offre cette figure admirable de la putain patriote, dont le dévouement renvoie dos à dos conservateurs et républicains, ramenés à leur commune bassesse d’âme. Un récit d’autant plus marquant qu’il aurait pu être transposé dans n’importe quelle autre guerre et sous n’importe quelle autre occupation étrangère.