Comme on prend en retard l'histoire littéraire ultra-contemporaine, on n'est pas sûr de bien comprendre à quelle clique appartient Yannick Haenel ni ce qui lui vaut l'amitié, l'indulgence, voire la complaisance des Inrocks, de Transfuge, du Monde, de Télérama et, en premier lieu, de L'Infini de Sollers. Les Renards Pâles est un texte prétentieux quoiqu'indigent et approximatif, mais encore manichéen et bête. Un texte de débutant commis par un auteur installé qui redescend pour la première fois dans la rue après les éloges, le succès, les prix.

Jean Deichel, quarante ans, déjà rencontré chez Yannick Haenel, se retrouve à la rue quand commence le roman, au soir d'un deuxième tour, victime de la violence ultra-libérale qui frappe le pays en faisant reculer année après année ce qu'à l'étranger on considère encore comme une exception française : un certain esprit de classe, une tradition du conflit social. Ici c'est un homme de droite qui arrive au pouvoir, à la rhétorique clivante, dressant les Français les uns contre les autres dès son premier discours, sarkoziste en diable. Jean Deichel a renoncé à la démocratie telle qu'elle nous est proposée, considérant tout cela comme un simulacre et comme l'acte le plus suprêmement politique de ne s'y adonner point.
Car Jean a ce défaut d'accuser et dénoncer sans jamais faire son auto-critique. Aussi y a-t-il deux instances dans ce livre écrit à la première personne : "nous" et "vous". Les premiers sont les laissés-pour-compte du libéralisme, en première ligne desquels figurent les très-nobles-clandestins-Dogons (aristocrates de la misère : paradoxe de la "pensée" haenelienne), employés par la Mairie de Paris à l'exécution de tâches dégradantes. Les seconds, "vous", c'est sans doute vous, si vous avez encore un toit et 17 euros à mettre dans ce livre qu'on vous avait vendu comme un chef-d'oeuvre. "Nous", c'est forcément les noirs, au nombre desquels compte Jean Deichel, quoique blanc (puisqu'on vous dit qu'il a toujours raison…), qui lui au moins, échange quelques mots tous les matins avec deux Maliens en fumant des cigarettes sous "l'arbre aux palabres", c'est dire s'il leur parle - et vous, vous le faites de parler à des noirs ? "Vous", c'est vous qui aviez un 4x4 que ceux que vous appelez "jeunes des banlieues" ont brûlé. Et si même vous ne possédez pas de voiture et que vous êtes plutôt de gauche, il faut bien que vous l'admettiez, vous n'en avez rien à battre des clandestins et vous aurez bien mérité ce qui arrive.
On nous reprochera peut-être de faire l'amalgame entre narrateur et auteur, mais, outre que l'amalgame est une pratique courante de ce livre, il n'y est rien fait par Yannick Haenel pour se désolidariser de Jean Deichel et si même l'auteur lui trouvait les idées un peu courtes, pourquoi lui laisser cette tribune de 160 pages pour ne rien dire que l'on ne sache déjà ou ne tienne à ignorer ?

La révolution en marche ici ("Oui, vous avez bien entendu : la révolution. Avouez qu'il y a bien longtemps que vous n'aviez plus croisé ce mot : vous pensiez être tranquilles et ne plus jamais avoir affaire à ses belles sonorités glissantes : vous aviez tout fait pour qu'il ne réapparaisse plus : et ceux qui, en dépit de vos précautions, se sont obstinés ces dernières années à le prononcer n'ont-ils pas contribué à sa ruine en gâchant par la répétition de leur échec la promesse qu'il contient ?") est faite de poésie facile, ou du moins de ce que l'on croit en être quand on n'en lit pas ; de phrases comme : "Lorsqu'on est soudain exposé à sa solitude, on découvre une géographie. La solitude est un pays qui brûle. Ses flammes vous ouvrent les yeux, avec une transparence qui fait miroiter les journées." La révolution d'Haenel est écrite sur du vent et n'a de révolution que le nom, brandi à longueur de pages comme un oriflamme de papier crépon. Quand la vraie, la dure, fondra sur Paris depuis les banlieues et mettra à sac le XXè arrondissement, elle foutra le feu aux chemises bleues de Yannick Haenel et il y a fort à parier que ses tenants n'auront pas la dignité des Renards Pâles. Ceux qui la mèneront auront un idéal qui sans qu'ils le sachent porte le nom de leur oppresseur, celui de "capitalisme". Car c'est aussi un sens du mot de révolution : un tour complet sur soi-même pour revenir au point de départ…
Omallet
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le 8 sept. 2013

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