Les 6 Rois Maudits

De l'intégral de la saga, qui dans ma bibliothèque prend la forme des rééditions en livre de poche des 6 premiers tomes de 1970 et l'édition par la même maison du 7e tome l'année même de sa parution ( 1977 ) , il est peut être utile de signaler que ma note s'adresse qu'aux 6 premiers, n'étant pas totalement transportée par le 7e, faute à une narration qui a changé brusquement de point de vue et à une histoire qui n'a que peu de rapport avec les autres tomes. Ceci m'a donc laissé une impression d'inachevé, n'étant pas contre le simple fait de voir une saga sur la guerre de 100 ans à proprement parler par Maurice Druon, mais la fin de la saga des derniers Capétiens et de Robert d'Artois se suffisait à elle-même à moins de commencer un autre cycle historique avec ce Quand un roi perd la France.

En ce qui concerne donc les aventures de la magnifique galerie de personnages tous historiques ou plus ou moins inspirés de personnages historiques apparaissant dans le cycle du Roi de Fer aux Lys et le Lion ( d'ailleurs, superbement mis à l'écran par Claude Barma en 1972-1973 avec le concours de grands comédiens de la Maison de Molière ) , je n'ai jamais pu m'empêcher d'admirer outre la superbe plume de Maurice Druon, qui cherche à coller le plus à l'ambiance du XIVe siècle et à sa langue, comment il arrivait à faire revivre l'Histoire des deux royaumes cousins mais rivaux de France et d'Angleterre avec autant de précision, tout en la servant par des intrigues légèrement romancées ou hypothétiques qui comblent des zones d'ombres de manière crédible, et ce en jouant de la fameuse légende du XVIe siècle autour de la malédiction du grand maître du Temple Jacques de Molay, véhiculée par le chroniqueur italien Paolo Emilio.

Quant bien même, j'ai adoré la partie, où se déchaînent les complots , empoisonnements, détournement de loi et mauvaise foi ( avec la Loi Salique ), le plus grand atout de ce cycle est démarrer l'intrigue en douceur, en introduisant au fur à mesure les principaux personnages à savoir les derniers Capétiens directs, premières victimes de la soit disant Malédiction :
- Le roi Philippe IV le Bel, roi autoritaire que Druon surnomme très à propos "Le Roi de Fer" dans son premier tome.
- Son fils aîné Louis Le Hutin roi de Navarre et futur Louis X de France ainsi que le fils posthume dudit Hutin, l'éphémère roi Jean Ier, échangé au berceau avec le fils d'un banquier lombard.
- Philippe comte de Poitiers (par mariage comte palatin de Bourgogne) et futur Philippe V le Long
- Charles de France, comte de La Marche et futur Charles IV Le Bel, pâle copie du grand roi.
- La seule survivante parmi les enfants du roi Philippe et digne fille de son père: Isabelle de France, reine d'Angleterre, dont il popularise avec le tome éponyme - le plus splendide des 6, pour moi - le fameux surnom de Louve de France qui lui fut donné par le dramaturge Christopher Marlowe. La même Louve de France, dont je maintiens qu'on n'a jamais eu plus belle incarnation que par Geneviève Casile dans le feuilleton de 1972, tellement elle incarne son incomparable grandeur, sa froide Majesté , son amertume, sa duplicité et ses failles, qui quoi que bien dissimulées ne font que la rendre plus humaine.
-ET le frère du roi Philippe IV : Charles de Valois, comte de Romagne et empereur titulaire de Constantinople, roi dans les faits s'il ne le sera jamais en titre.

Une longue mise en place qui se fait surtout dans le tome 1, qui, par ailleurs, plante habilement le contexte historique des deux côtés de la Manche et laissera les autres tomes les explorer plus en profondeur , avec des notices biographiques et des notes de fin d'ouvrage, qui forment un complément historique essentiel. Et pour le reste, on se laisse porter par ce récit épique, où on est magnifiquement plongé dans cette France qui commence à se transformer en Etat moderne sous la poigne de fer de Philippe IV et les politiques ou réformes de ses ministres ( Marigny et Nogaret ) , le contre-pouvoir du Temple et des banquiers Lombards , comme aussi l'un des principaux nœuds de l'intrigue à savoir les implications de l'Affaire de la Tour de Nesles avec les filles de Bourgogne ainsi que la fameuse malédiction de même que les conflits de succession pour le comte d'Artois entre Robert III d'Artois et sa tante Mahaut de Bourgogne, se réglant à coup de complots.

Cependant ne connaissant que dans les grandes lignes l'histoire britannique médiévale, j'ai peut être pris plus de plaisir à découvrir et ai été le plus intriguée par les parties reconstituant l'Angleterre d'Edouard II, roi faible, qui ne pourra pas faire face à la révolte de ses barons, guidée par la reine Isabelle et son "gentil Mortimer". Un grand plaisir à découvrir aussi l'Angleterre à l'époque de sa reprise en main après le coup d'Etat d'Edouard III, qui se posera comme seul héritier légitime de la couronne de France face aux prétentions de son cousin Philippe VI de Valois, s'appuyant sur la loi salique pour se faire couronner à la mort de Charles IV.